Itinéraire salé d’un marin d’eau douce ou comment j’en suis venu au voile aviron. (24)

Je me rends compte que dans l’énumération de mes différents bateaux que j’en ai oublié un ! Un très joli dériveur que je n’ai pas gardé longtemps. Dommage c’était peut-être l’occasion de passer déjà au voile-aviron en bois …

Mon beau père possédait un Vaurien, en bon état. Il l’avait délaissé pour acheter un Corsaire qu’il amarrait dans notre Marina de Port Camargue pendant que nous étions à parcourir le monde puis ensuite pour se lancer dans la construction d’une unité plus grande un Primo, dériveur lesté de 7 m et quelques.

J’avais récupéré ce dériveur et je lui avait donné un petit coup de propre avec une jolie peinture bleue et un taud tout neuf !

et la facture du taud qui nous donne une indication sur la date .
Le Vaurien Mary-Ann au Grand Large à Lyon.

Quelques navigations sur le plan d’eau Grand Large à Lyon et puis je l’ai vendu… (j’ai toujours une copie de l’acte de vente : 2 500 F !). Surement en raison d’un nouveau départ pour une nouvelle mission à l’étranger .

Dans mes archives numériques je retrouve un petit film où l’on voit les deux bateaux ! C’était un été, sur le lac du barrage de Villerest près de Roanne. Mes beaux-parents possédaient une propriété à cet endroit qui avait été autrefois les gorges de la Loire avant la construction du barrage qui fait noyé une partie des terres agricoles de mon beau-père.

Ce n’est que quelques années plus tard que je récupérerai le Vaurien.

Sur le lac de Villerest mon Fireball et le Vaurien du beau-père…

Itinéraire salé d’un marin d’eau douce ou comment j’en suis venu au voile aviron. (7)

La mise à l’eau du Fireball au plan d’eau de Courtine sur la Durance.

Le Fireball était construit, accastillé, pourvu d’un mât et doté d’un jeu de voiles de base. Le bateau était magnifique, superbement réalisé. J’avais voulu une coque noire qui se mariait à merveille avec le pont et le cockpit plaqué acajou.

Petite anecdote concernant le bois : le contreplaqué venait des établissements Charles mais pour des pièces de bois massif comme le banc, le safran, la barre etc., mon prof de père avait récupéré dans son collège des pupitres d’écolier mis au rebut qui une fois poncés et débarrassés de leurs graffitis avait fourni des essences merveilleuses et d’une dureté incomparable !

Il était temps pour le bateau de quitter le garage. Comme on allait devoir le stocker dehors, il était impératif de lui prévoir une protection contre les intempéries. D’autre part, pour gagner les plans d’eau il allait bien falloir le transporter.

Mon père avait bien évidemment tout prévu !

Il s’attela tout d’abord à la fabrication d’une solide remorque qu’il voulut fonctionnelle car elle devait permettre non seulement le transport d’un dériveur, mais également lui servir de remorque porte tout.

Dans ce domaine de construction, il était à l’aise. La soudure de solides cornières achetées chez Tirat (son fournisseur de ferraille habituel) plus des roues de 4L et ressorts de suspension récupérés à la casse auto qui bordait l’autoroute allait lui permettre d’atteindre son objectif. Un chariot de mise à l’eau ajusté pile-poil aux cloisons transversales du bateau, un timon rallongé démontable pour s’adapter aux 4,93 m de longueur hors-tout, un plateau pour le vrac, tout y était…

Il entreprit ensuite de coudre une forte toile bien étanche, un taud qui protégerait le beau navire en bois du mauvais temps.

Cette fois, on était paré pour la mise à l’eau programmée au plan d’eau de Courtine où nous avions réservé un emplacement à terre assorti d’une inscription à l’Avignon Courtine Yachting Club. Depuis ce temps, toutes ces installations : le port, les pontons, le club, le schipchandler ont disparu… Le spot est désormais occupé par des Jetskis et des kitesurfers

Confluence de la Durance et du Rhône, au sud d’Avignon. En bateau on pouvait remonter le Rhône jusqu’aux remparts, la difficulté était un pont de chemin de fer assez bas au du tirant d’air réduit… Au sud, on descendait jusqu’au pont d’Aramon.

Et le grand moment arriva enfin !

Nous devions être au début du printemps 1975. Il faisait encore frais, un léger vent du nord soufflait mais pas ce fichu Mistral qui nous aurait contraints à repousser les essais.

Pour la circonstance, toute la famille était présente, mon père bien sûr, ma mère et mes deux frères. Dudule mon pote de navigation sur le 420 de la MJC était là aussi.

Le bateau fut descendu de sa remorque de route et posé sur son ber de mise à l’eau. On le mata, et on endrailla les voiles destinées à être hissées sur l’eau plus tard. Nous avions capelé nos gilets (achetés à la CAMIF) et Dudule avait enfilé la ceinture de trapèze Plastimo.

Zou ! on y allait !

Le bateau fut amené sur la cale, le chariot roula et toucha enfin l’eau pour la première fois !

Un cri s’éleva : il coule !

Miséricorde ! de chaque côté du puits de dérive deux jets d’eau jaillissaient et inondaient le cockpit ! En hâte je me ruais dans le bateau et pinçais les deux orifices en enfonçant un doigt de chaque côté.

On remonta le bateau au sec. Plus de peur que de mal. En fait, suite à des échanges de courriers avec l’IFF, mon père avait déplacé l’axe de la dérive de quelques centimètres, omettant de reboucher les premiers trous… Qu’à cela ne tienne, le paternel toujours muni de son couteau de poche tailla en hâte deux flipots de bois qu’il enfonça en force dans les voies d’eau. Un rebouchage sérieux au chantier naval serait effectué par la suite.

Le grand jour ! On se prépare pour la mise à l’eau. je suis penché sur la grand-voile, Dudule de dos avec la ceinture de trapèze. Olivier mon frangin est sur l’arrière a déjà capelé son gilet de sauvetage. Ma mère et mon petit frère Sébastien sont assis sur un ponton. Le lascar en vélo… je ne sais pas qui c’est…
La mise à l’eau, surement la bonne cette fois !
Cette fois c’est la bonne ! Le bateau flotte, mes équipiers le maintiennent. Le paternel peut être fier de son œuvre !

De cette première navigation, je n’ai guère de souvenir, ni même de photos… Je sais simplement qu’une fois le tragicomique épisode de la voie d’eau du départ, tout se passa bien. J’étais enfin seul maitre à bord de mon bateau. Ne restait plus qu’à naviguer !

On envoie de la toile devant sur le Skerry !

Pour commencer, disons que je m’étais juré de garder un bateau simplifié au maximum, un mat, une voile et basta…

Il est loin le temps où pour gréer mon Fireball je mettais des plombes pour passer le filin rouge dans le taquet rouge, le barber hauler bleu dans le filoir bleu (clic clic…) et tout le saint frusquin sensé me faire atteindre des vitesses vertigineuses… Ah ! c’est sur ça réglait tout, de partout, en long en large, en travers et même dans l’autre sens…tu parles …

Donc autre temps, autre philosophie… hélas les bonnes résolutions n’ont qu’un temps.

Tout est parti d’une formule lancée par je ne sais plus qui et qui a résonné à mes oreilles : « de la toile, encore de la toile, toujours de la toile » ! On était au lac du Der, sur le ponton, tous les plus beaux bateaux amarrés sagement et voilà que ce slogan a sournoisement fait tilt dans mon esprit malade.

Balayant mes sages décisions, j’allais moi aussi envoyer de la toile devant sur le Skerry !

Des Skerry avec une voilure complexe on en connait. Celui qui détenait le pompon en son temps, du côté des étangs des Landes c’était la Mariette et puis il y a Naïma que l’on a revu à Pareloup cet été.

Jérôme s’était contenté d’un foc sur Méaban et c’était déjà pas mal !

Donc retour à la maison et la cogitation commence. Au début je pensais plutôt à un gennaker, une voile de portant mais, que l’on peut garder jusqu’au travers, voire plus, si la voile est plutôt plate.

Premier problème à résoudre : le bout dehors, indispensable pour ce bateau. Ça tombe bien, il reste un beau mat en carbone de planche à voile. Question (comme la barbe du Capitaine Haddock) en dessus ou en dessous ? C’est à dire au ras du pontage avant en perçant l’étrave pour un modèle télescopique ou en dessus, posé sur l’étrave ?

Plutôt favorable à la première solution c’est finalement la deuxième que j’adopte, le bateau ne sera pas percé sur l’avant, du moins pour l’instant, on pourra toujours revenir en arrière plus tard.

Premier point : le bout dehors

Et voilà ce que ça donne au niveau des fixations du bout dehors en sachant qu’il doit être démontable.

La mat n’est pas percé : une pièce en cuivre et bois s’enfile autour de celui-ci, le bout dehors vient s’emboiter dans la pièce en bois cylindrique. La cale en bois avec la dame de nage vient positionner le bout dehors à la bonne hauteur.


Le bout dehors en place et fixé au mat.
Et sur l’étrave, j’ai confectionné une pièce en bois. Le filin rouge c’est l’amure du spi, le petit cordon blanc c’est le réglage de l’emmagasineur du foc (nous allons revenir sur les voiles plus loin !)
Le bout dehors en place : à l’extrémité j’ai fabriqué une pièce en cuivre pour fixer la poulie d’amure du spi asymétrique et l’emmagasineur du foc. Cette pièce est juste enfilé sur l’extrémité du bout dehors, pour le démonter il suffit de l’enlever en la faisant glisser.

Deuxième point : les voiles :

Donc au départ je pensais à une seule voile de type gennaker. Première idée, la confectionner en utilisant le logiciel SaiCut. J’avais déjà testé et cousu un petit spi pour mon kayak. Gérard Delorme me communique les côtes de la voile qu’il a réalisé pour son Skerry raid.

Entre temps, je tombe sur une annonce sur le Bon Coin pour un spi asymétrique de Laser Vago et coup de bol, il se trouve en banlieue lyonnaise.

Je récupère cette voile et la retaille : résultat, ça peut le faire mais, c’est bien un spi ! Pas question de l’utiliser comme gennaker !

Le spi de Laser, retaillé, ici à peu près gonflé.

Je prends alors la décision de rajouter un foc et de le faire tailler par un voilier. Dans mon coin, des voilieries il n’y en pas des masses, j’avais autrefois fait tailler un génois chez un voilier à Aix les Bains. dans ces conditions, je je décide d’explorer les possibilités qu’offre le net.

J’avais déjà repéré la voilerie Horizon sails qui propose (entre autre) des voiles traditionnelles. Leur outil pour la prise de cotes me semble pas trop mal fichu. Vérification faite, cette voilerie se situe en Pologne, bon c’est l’Europe ! Après avoir pris mes dimensions, je commande.

Pour une fois, je vais faire un peu de pub : relation client parfaite, les échanges de mails se font en bon français, à plusieurs reprises ils me contactent pour des précisions. Ensuite les délais sont courts une petite quinzaine de jours après je reçois la voile. Et là : franchement, je suis épaté par la qualité du travail et des finitions : nickel !

Donc je monte la voile sur emmagasineur et voilà le Skerry équipé avec de la toile devant !

Le foc taillé par Horizon sails en place
Spi déployé, le foc est roulé.

Reste plus qu’à tester tout ça !

Il demeure néanmoins des questions en suspens : faut-il rajouter une sous barbe pour conforter le bout dehors ? Par ailleurs, j’ai utilisé du chanvre de manille pour les écoutes, bras et drisses. Je pensais que c’était meilleur que le chanvre que j’utilisais jusqu’alors mais si cela semble robuste c’est un peu rustique !

Enfin, pour en revenir à la grand voile :

Détail : la poulie double sert d’une part pour la prise de ris et d’autre part pour le bêleur qui permet régler la bôme au petit poil.
Le bêleur vue de l’autre côté.

Foutue bordée de novembre…

Alors que notre ami Claude Gros vient juste de larguer les amarres vers un autre monde, voilà qu’un autre marin est parti lui aussi, Alain Gliskman.

Claude, c’était un de ces rudes gars du Jura, fier et humble, un ébéniste, artisan du bois, qu’il savait travailler pour faire naitre des meubles mais aussi un chouette petit bateau que nous avions baptisé un bel après midi de septembre à Vouglans.

Ce bateau, il l’avait totalement imaginé, conçu et réalisé : « j’avais pour ambition de construire un bateau en bois et notamment son gréement (mât, bôme, espars…) en épicéa du haut Jura »...

Avec Claude nous avions tiré des bords sur le lac Vouglans, dans son cher Jura mais, aussi sur celui du Der où nous avions fait connaissance et échangé autour du Maraudeur que nous avions pratiqué l’un et l’autre…

Adieu vieux camarade, c’est au téléphone au printemps dernier que tu m’avais appris la saloperie qui t’étais tombée dessus… Le temps est vite passé et c’est en novembre que tu nous quittes. Alors, bon vent l’ami vers d’autres rivages…

Nous croisons le bateau de Claude dans les petits airs de Vouglans en septembre 2016.

A peine la triste nouvelle tombée, c’est par la presse que l’on apprend le décès d’un ancien grand nom de la voile, Alain Gliksman.

Oh ! bien sûr, ce gars là, je ne l’ai jamais vu mais, lu et relu, ça oui !

… Et suivi ses exploits dans les courses au large de l’époque sur des bateaux qui n’étaient pas encore tout a fait les panneaux publicitaires flottants qu’ils sont devenus…

Les revues nautiques de ma jeunesse, Neptune qu’il avait crée en particulier, structuraient mon univers avant je puisse avoir enfin un vrai bateau à moi…

Ah, oui ! fichue bordée de novembre…