Itinéraire salé d’un marin d’eau douce ou comment j’en suis venu au voile aviron. (5)

L’école de voile de la Grande Motte

Une obsession, je pense que c’est le mot que l’on peut employer… Les bateaux, sous entendus, à voile, étaient devenus pour moi une véritable obsession.

Il avait eu les premiers embarquements sur les croiseurs côtiers de Jo mais ceci ne constituait qu’une étape. En fait, ce n’étaient pas tant les bateaux en général qui m’obnubilaient, non, moi ce qui ne me hantait c’était l’idée de posséder MON propre bateau… Souvent je fermais les yeux, j’empoignais une barre imaginaire et c’était parti… Les revues, les maquettes peinaient de plus en plus à assouvir ma passion.

Mes pauvres parents avaient fini par s’en rendre compte, mais ce n’était pas gagné. Ma mère détestait l’idée de monter sur un bateau. Son voyage en Angleterre, jeune fille, demeurait un cauchemar ancré au plus profond d’elle même. Quant à mon père, à part la pêche à la mouche, ses rapports avec l’élément liquide restaient pour le moins lointains et pour tout dire à tendances hydrophobes…

N’empêche qu’en bons enseignants qu’ils étaient tous les deux, et voulant assurer mon bonheur, un fondamental s’imposait comme une évidence : je devais user mes fonds de culotte sur les bancs d’une école… de voile !

Et ça tombait bien puisque la Grande Motte disposait d’un établissement adéquat susceptible de me fournir une instruction convenable en la matière.

C’est ainsi qu’un beau mois de juillet, sachant nager, condition sine qua non, je fus admis à suivre les cours du stage « initiation ».

À l’époque nous commencions par étudier la théorie au tableau noir, chose qui me cassait les pieds dans la mesure où j’avais depuis longtemps potassé tous les secrets du virement de bord, de l’empannage et autres finesses des manœuvres dans le Guide des Glénans, la bible pour tout aspirant navigateur à voile. La poussée vélique normale au plan de voilure opposée à la force du plan anti dérive générant la composante vitesse n’avait aucun secret pour moi !

La bible …

La pratique se déroulait sur des Caravelles. Un robuste dériveur, lourd comme un âne mort mais qui pardonnait toutes les erreurs du débutant. Nous embarquions à six plus le moniteur. Le premier exercice (musculaire) consistait sur la plage à trimbaler le gros vaisseau jusqu’à l’élément liquide.

Appareillage, accroché au hauban, casquette vissée sur la tête, je pose pour le photographe, mon père, qui a dû s’aventurer avec de l’eau au dessus du genou, un exploit, pour immortaliser l’instant…

Après la première navigation du matin, les Caravelles étaient laissées au mouillage à quelques dizaines de mètres du rivage. Heureusement, il n’y a pas de marée en Méditerranée. Il fallait regagner la plage en se jetant à l’eau et l’après-midi rebelote on levait l’ancre. Entre-temps le thermique s’était établi et un bon clapot agitait le plan d’eau. Nous nous hissions trempés sur le bateau, le soleil tapait mais le vent était bien frisquet sur les tee-shirts ruisselants et j’étais frileux.

Nous prenions la barre à tour de rôle, et nous nous partagions les postes : écoute de grand voile et foc pour le reste. Après deux heures à tirer des bords dans la baie, nous mettions le cap vers la base. Il fallait encore hâler les lourdes coques sur le haut de la plage puis plier les voiles en accordéon en suivant bien les coutures des laizes sous l’œil sourcilleux du moniteur. La journée se terminait avec de nouveaux cours théoriques, histoire de bien comprendre tout ce qui s’était passé sur l’eau.

Une semaine, le stage durait une semaine mais, de quoi nourrir l’imagination pour les mois qui allaient suivre.

Et l’année suivante c’était le stage « perfectionnement ». Cette fois nous étions lâchés à deux sur des 420. C’était du sérieux, pas de moniteur embarqué ! Ce dernier à bord de son Zodiac nous hurlait ses instructions. Dès le deuxième jour, nous tournions entre trois bouées : bord de près, largue, empannage, vent arrière, tout y passait à deux exceptions près : pas de trapèze et pas de spi. Ça, j’allais le mettre en pratique tout seul, plus tard… En fin de stage, un raid d’une journée jusqu’à la pointe de l’Espiguette, agrémenté d’un pique-nique clôturait le stage. Un épisode chouette qui préfigurait les futures croisières et randonnées côtières.

Voilà ça y était, j’étais devenu un voileux non pas diplômé mais, en principe compétent pour prendre la barre d’un dériveur en autonomie. C’est pourquoi il y eut un épisode « location ». Sur la plage du Grand Travers il était possible de louer un petit dériveur pour une heure. Deux modèles étaient proposés : le Zef, une sorte de mini Caravelle, du moins dans l’esprit, un genre de pêche promenade paisible et le Fox un peu plus sportif.

Et voilà ! Je suis à la barre d’un Fox de location, premier bateau que je barre en autonomie. Mon frère Olivier qui sera un temps mon fidèle équipier m’accompagne.

Le temps s’écoulait et les évènements allaient évoluer d’autant que les résultats aux examens en fin de classe de troisième allaient rendre leur verdict. Pas tout à fait celui escompté mais, comme tout est affaire de compromis…

Itinéraire salé d’un marin d’eau douce ou comment j’en suis venu au voile aviron. (4)

Le bateau de Moreau, premier embarquement sur un voilier.

Chaque été, aussi loin que je m’en souvienne, la famille partait pour des vacances en camping.

Ma mère aimait la mer, mon père la montagne. Dans ces conditions c’était réglé comme du papier à musique : trois semaines à la Grande Motte et trois semaines à Pont du Fossé dans les Hautes-Alpes où le paternel traquait la truite dans le Drac. Deux destinations choisies car elles n’étaient pas trop éloignées de notre nouveau domicile vauclusien.

J’ai le souvenir d’une de ces années, nous étions en août 1971 et le séjour à Pont du Fossé m’éloignait de mes chers pontons. Pour ronger mon frein, j’avais entrepris de suivre la course de l’Aurore (ancêtre de ce qui allait devenir « La course du Figaro »). Chaque matin, je filais au village pour acheter le journal l’Aurore dans lequel je découpais soigneusement l’article du jour relatant l’étape. Ma mère me recommandait de ne pas me montrer dans le camping avec un tel quotidien réactionnaire « pas bien vu » selon elle dans notre environnement de campeurs de gauche…

J’ai toujours le dossier contenant les articles de presse. Souvenir d’un été en montagne… loin de la mer et des bateaux.

Lorsque nous avions débarqué avec nos valises dans le Midi, mes parents avaient trouvé un premier point de chute à Morières les Avignon, une maison neuve dans un lotissement qui venait d’être inauguré « le Grand Pré ». Le déménagement avait suivi et nous nous étions installés. On ne connaissait personne dans ce petit (à l’époque…) village viticole situé à sept kilomètres d’Avignon. En face de chez nous, dans la villa identique à la nôtre, habitaient les Moreau, étrangers au pays comme nous, ils étaient originaires du Jura. Nous avions lié connaissance.

Jo, le père de famille, développait une singulière industrie : il construisait un bateau en bois dans son garage, activité qui intéressait mon père, lequel avait une particularité : il savait tout faire étant lui-même « un fameux bricoleur »… Le problème, c’est qu’à l’époque toute son énergie créatrice était mobilisée par l’élaboration puis la réalisation de la nouvelle maison qu’il se proposait de bâtir à l’autre bout du village. Pas question pour lors de s’investir dans la construction navale… mais la graine était plantée…

Jo possédait en outre tous les numéros de la revue Bateaux à partir du numéro 1 et surtout une grande partie de la collection Mer de l’éditeur Arthaud dans laquelle je puisais bon nombre de lectures !

La fameuse collection mer. Je pense en avoir lu la presque totalité !

Par ailleurs, je ne lâchais pas l’affaire et je tannais en vain mes parents pour posséder mon propre bateau…

Ce sont les Moreau qui nous avaient fait connaître la Grande Motte. En ces années-là, les côtes du Languedoc se bétonnaient pour accueillir les foules de vacanciers des Trente Glorieuses. La station se développait autour d’un port de plaisance creusé dans un littoral sablonneux et marécageux infesté de moustiques que l’on éradiquait à grands renforts d’aspersions par avion de DDT.

Au début de notre fréquentation la station se limitait à un grand bassin bordé par deux bâtiments en forme de pyramides qui allaient donner leur marque de fabrique à cette ville originale. Tout autour, l’agitation de grues et de chantiers contribuait à assurer la fortune des promoteurs en faisant sortir de terre à un rythme effréné de nouveaux immeubles de villégiature.

En périphérie, une plantation de peupliers abritait du soleil des campings destinés au populo et pour nous ça tombait bien, on campait ! Chaque année quand nous revenions poser la caravane au camping GCU, de nouvelles pyramides avaient poussé comme des champignons.

La plage, je n’aimais pas trop, j’ai sable en horreur. J’étais devenu trop grand pour mon petit rafiot gonflable qui au fil du temps s’était mis à fuir comme un sous-marin russe malgré les rustines en nombre qui ornaient ses flancs telles les sabords fermées d’un vaisseau trois ponts de la Royale . Je préférais passer des heures à arpenter les pontons du port de plaisance. Au fil des années, j’en connaissais tous les bateaux.

J’arpentais les pontons du port… Notez bien le voilier au premier plan, nous aurons l’occasion d’y revenir plus tard… bien plus tard…
Non franchement la plage, ce n’était pas mon truc !

Arriva enfin un évènement tant attendu. Ce devait être en 1970 ou 1971, Moreau, mon père disait « Moreau », avait achevé la construction de son bateau. Un magnifique Cap Corse, coque noire, superstructure en acajou qu’il avait baptisé Wouafi du nom d’un petit singe qu’il avait possédé en Afrique du temps où il travaillait dans le commerce des bois exotiques. L’élégant navire avait été mis à l’eau à la Grande Motte où, à l’époque, il n’était pas difficile de trouver un anneau dans le port.

Pour la première fois, j’embarquais sur un voilier. J’avais beau avoir potassé depuis des années toutes mes revues nautiques et de nombreux livres qui traitaient de la navigation à voile, le moment était solennel ! Je me souviens encore du premier commandement de Moreau : » tu regardes et tu observes » !

Le Cap Corse Wouafi, le premier voilier sur lequel j’ai embarqué. La photo est prise de la jetée du port de la Grande Motte. Les voiles sont établies, le moteur relevé mais pas les pare-battages ! Le temps est calme, le thermique ne s’est pas encore levé. Mon père qui ne sait pas nager à embarqué, confiant dans la construction de notre voisin !

Par la suite, je devais multiplier les navigations d’un jour en baie d’Aigues-Mortes avec Moreau . Ce dernier, pris par la frénésie du « mètre de plus », n’allait pas tarder à vendre son magnifique Wouafi pour successivement acquérir (le temps de la construction était passé) : une Corvette, un Alpa 7,40 et surtout un Alpa 9,50 magnifique unité italienne, dotée d’une barre à roue et sur laquelle je devais effectuer ma première vraie croisière côtière à l’occasion d’un convoyage du bateau entre La Grande Motte et Saint Raphaël.

Cette fois la photo est datée. Nous sommes en juillet 1972 et nous sommes avec Moreau sur son deuxième bateau la Corvette « Wouafi 2 ». Notez à l’arrière plan que le port n’est pas bondé ! Cerise sur le gâteau, j’avais le droit d’aller dormir quelquefois dans le bateau au port… Qui ne connaît pas l’odeur particulière de l’intérieur d’un vieux barlu en bois, ne connaît rien à la mer !

Sur les bateaux de Jo j’avais pu commencer à mettre en pratique les connaissances théoriques acquises dans les revues et les bouquins que je dévorais à longueur d’année. Ce n’était pas suffisant au yeux de mes parents pour qui un enseignement sérieux et raisonné devait être à la base de tout, surtout en matière de navigation.

Or, outre ses pyramides, ses camping, ses plages et son port de plaisance, La Grande Motte disposait en outre d’une école de voile !