Itinéraire salé d’un marin d’eau douce ou comment j’en suis venu au voile aviron.

1 – Au commencement …

Je suis né loin de la mer, loin d’un lac ou d’une rivière. Plutôt en lisière de forêt, en Eure-et-Loir. Mon père qui ne savait pas nager détestait l’eau, sauf pour pêcher la truite en montagne. Maman, quant à elle, pratiquait la brasse avec raideur « là où elle avait pied », la tête bien hors de la surface et sur une distance n’excédant pas trois mètres les bons jours et par météo favorable.

À cette époque, il était impératif de patienter au moins trois heures après les repas avant de se baigner. De plus, il convenait de se saisir avec prudence au risque de couler à pic, terrassé par un funeste flux d’entrailles. En fait, j’ai appris à nager très tard, en classe de cinquième, dans la piscine du 7éme régiment de Génie à Avignon mais, ceci est une autre histoire. D’ailleurs mon Grand-père qui se disait « mâtiné breton » énonçait que les marins bretons ne savaient pas nager, cet exercice étant inutile en cas de naufrage, contraignant les malheureux souffrir plus longtemps.

Comme tous les petits garçons, je jouais avec des petites autos mais, allez savoir pourquoi, je me suis intéressé aux bateaux très tôt. Intéressé est un doux euphémisme, j’allais très vite ne penser qu’à ça.

La Dauph du paternelle

Bien sûr j’avais un train électrique, mon père aimait les trains. En voiture dans la Dauphine c’était la fête quand on se retrouvait bloqué à un passage à niveau, on allait voir passer un touf !

Lorsqu’on descendait dans le Midi, avant l’autoroute, on passait par Saint-Étienne puis le col de la République pour rejoindre la vallée du Rhône. Or, à Saint-Étienne, il y avait un truc épatant : des trains au milieu de la ville : des tramways ! Avec mon frangin, on cessait de se fritter dans l’auto pour contempler cette curiosité incroyable.

Bon mais, je m’éloigne des bateaux, en fait pas tant que ça. Dans le Massif central, il y avait la Bourboule. 

Je me dois de vous confier qu’enfant, j’étais affecté d’une maladie chronique : l’asthme. Dans le climat humide de l’Eure-et-Loir, d’octobre aux premiers beaux jours de l’été, j’étais en permanence cloué au plumard par cette fichue saloperie.

Parmi tous les traitements qu’avaient tentés mes pauvres parents pour me soulager (je vous passe sur les séjours à l’hôpital Rothchild pour les allergies, l’homéopathie (pau’ Juliette…), les pèlerinages à Lourdes, la croix Vitafor et autres posologies exotiques, il y avait les cures thermales à la Bourboule et au Mont d’Or.

Une canule dans le pif et en avant les gaz ! Mon frère m’accompagnait au prétexte qu’il avait le nez qui coulait en hiver (malgré l’avis de mon grand père qui prétendait qu’il valait mieux avoir la goutte au nez que la crotte au cul)

La cure c’était pas terrible. Le matin on allait aux thermes pour respirer des gaz en s’enfilant des canules dans le nez, on se fadait des inhalations dans des bols en céramique blanche qui vous coinçait le groin, des bains de vapeur (ça c’était marrant) et même des bains de pied (indispensable pour soigner les bronches). Le moins rigolo c’était d’ingurgiter un grand verre (gradué) d’eau gazeuse au goût affreux d’œuf pourri. Ça, c’était le matin. Mais l’après-midi c’était la fête. On nous emmenait dans un grand parc avec des jeux et surtout un bassin où l’on faisait voguer de petits bateaux.

C’est là que j’ai eu mon premier bateau, celui qui m’a occupé l’esprit toute une partie de ma prime jeunesse et qui est à l’origine de rêveries infinies. C’était une vedette modèle Mouette de Meccano. Un superbe canot rouge à piles (Wonder, 4,5 volts, ne s’use que si l’on s’en sert).

Après avoir réglé le gouvernail on enclenchait le moteur et le fier vaisseau filait droit vers la rive opposée du bassin que l’on s’empressait de rejoindre en cavalant pour récupérer l’esquif avant que celui-ci ne se fracasse à l’arrivée.

Jep (vu sur Ebay)

Il arrivait parfois, allez savoir pourquoi, qu’un obstacle vienne perturber la route de la vedette. Celle-ci se mettait alors à tourner en rond au milieu du bassin sous les ricanements des autres capitaines en culottes courtes qui la plupart étaient jaloux de mon luxueux canot électrique, alors qu’eux ne disposaient que de modestes barcasses Jep en tôle et à moteur à clef.

Mon frère Olivier avait reçu, lui, le modèle « Alcyon », beaucoup moins choucard car il était dépourvu de cabine. De plus, le malheureux navire ayant été abandonné sur la plage arrière de la Dauphine un jour de canicule avait subi les affres de ce qui n’était pas encore le réchauffement climatique mais qui lui avait fait fondre le plancher de son cockpit en lui conférant un air de montagnes russes entre les sièges, ce qui nuisait gravement à son esthétique. Ceci ne dérangeait pas outre mesure mon frangin pour qui son bateau n’était destiné qu’à foncer sur le mien pour le percuter. Abordage qui ne manquait pas de déclencher de solides bagarres et règlements de compte entre nous sur les berges du bassin tandis que nos rafiots erraient abandonnés à eux-mêmes au milieu de l’océan miniature.

le bassin des Richardets : je m’occupe de la Mouette, tandis que mon frère se prépare à récupérer l’Alcyon

Le reste de l’année nous allions régulièrement visiter mon oncle Jacques et ma tante Renée à Noisy-le-Grand dans le quartier des Richardets. Ils habitaient, comme on disait à l’époque, « un pavillon » qui avait pour nous l’immense intérêt de disposer d’un chouette bassin peint en bleu dans le jardin. Sitôt la dernière bouchée du repas dominical avalée, nous filions faire naviguer nos bateaux.

À l’époque, je m’intéressais surtout aux bateaux à moteur. Je ne comprenais pas vraiment l’intérêt des voiles. Pourtant, mon oncle Bernard m’avait fait cadeau d’un joli bateau en bois à voile. Un de ces modèles que l’on pouvait admirer sur le bassin du Luxembourg à Paris. Le problème c’est que je m’obstinais  pour des raisons d’esthétique à ne pas vouloir choquer les voiles pour que celles-ci puissent se gonfler et propulser le bateau. Je bordais celles-ci à bloc. Résultat, ce couillon de bateau, une fois poussé, s’arrêtait bêtement en se dandinant et il fallait attendre longtemps pour qu’un courant d’air improbable lui permette de s’échouer sur un rivage quelconque

Non, franchement ce genre de bateau était pour le moins d’un maniement stupide et inintéressant, voué à l’oubli…

Et pourtant…

On envoie de la toile devant sur le Skerry !

Pour commencer, disons que je m’étais juré de garder un bateau simplifié au maximum, un mat, une voile et basta…

Il est loin le temps où pour gréer mon Fireball je mettais des plombes pour passer le filin rouge dans le taquet rouge, le barber hauler bleu dans le filoir bleu (clic clic…) et tout le saint frusquin sensé me faire atteindre des vitesses vertigineuses… Ah ! c’est sur ça réglait tout, de partout, en long en large, en travers et même dans l’autre sens…tu parles …

Donc autre temps, autre philosophie… hélas les bonnes résolutions n’ont qu’un temps.

Tout est parti d’une formule lancée par je ne sais plus qui et qui a résonné à mes oreilles : « de la toile, encore de la toile, toujours de la toile » ! On était au lac du Der, sur le ponton, tous les plus beaux bateaux amarrés sagement et voilà que ce slogan a sournoisement fait tilt dans mon esprit malade.

Balayant mes sages décisions, j’allais moi aussi envoyer de la toile devant sur le Skerry !

Des Skerry avec une voilure complexe on en connait. Celui qui détenait le pompon en son temps, du côté des étangs des Landes c’était la Mariette et puis il y a Naïma que l’on a revu à Pareloup cet été.

Jérôme s’était contenté d’un foc sur Méaban et c’était déjà pas mal !

Donc retour à la maison et la cogitation commence. Au début je pensais plutôt à un gennaker, une voile de portant mais, que l’on peut garder jusqu’au travers, voire plus, si la voile est plutôt plate.

Premier problème à résoudre : le bout dehors, indispensable pour ce bateau. Ça tombe bien, il reste un beau mat en carbone de planche à voile. Question (comme la barbe du Capitaine Haddock) en dessus ou en dessous ? C’est à dire au ras du pontage avant en perçant l’étrave pour un modèle télescopique ou en dessus, posé sur l’étrave ?

Plutôt favorable à la première solution c’est finalement la deuxième que j’adopte, le bateau ne sera pas percé sur l’avant, du moins pour l’instant, on pourra toujours revenir en arrière plus tard.

Premier point : le bout dehors

Et voilà ce que ça donne au niveau des fixations du bout dehors en sachant qu’il doit être démontable.

La mat n’est pas percé : une pièce en cuivre et bois s’enfile autour de celui-ci, le bout dehors vient s’emboiter dans la pièce en bois cylindrique. La cale en bois avec la dame de nage vient positionner le bout dehors à la bonne hauteur.


Le bout dehors en place et fixé au mat.
Et sur l’étrave, j’ai confectionné une pièce en bois. Le filin rouge c’est l’amure du spi, le petit cordon blanc c’est le réglage de l’emmagasineur du foc (nous allons revenir sur les voiles plus loin !)
Le bout dehors en place : à l’extrémité j’ai fabriqué une pièce en cuivre pour fixer la poulie d’amure du spi asymétrique et l’emmagasineur du foc. Cette pièce est juste enfilé sur l’extrémité du bout dehors, pour le démonter il suffit de l’enlever en la faisant glisser.

Deuxième point : les voiles :

Donc au départ je pensais à une seule voile de type gennaker. Première idée, la confectionner en utilisant le logiciel SaiCut. J’avais déjà testé et cousu un petit spi pour mon kayak. Gérard Delorme me communique les côtes de la voile qu’il a réalisé pour son Skerry raid.

Entre temps, je tombe sur une annonce sur le Bon Coin pour un spi asymétrique de Laser Vago et coup de bol, il se trouve en banlieue lyonnaise.

Je récupère cette voile et la retaille : résultat, ça peut le faire mais, c’est bien un spi ! Pas question de l’utiliser comme gennaker !

Le spi de Laser, retaillé, ici à peu près gonflé.

Je prends alors la décision de rajouter un foc et de le faire tailler par un voilier. Dans mon coin, des voilieries il n’y en pas des masses, j’avais autrefois fait tailler un génois chez un voilier à Aix les Bains. dans ces conditions, je je décide d’explorer les possibilités qu’offre le net.

J’avais déjà repéré la voilerie Horizon sails qui propose (entre autre) des voiles traditionnelles. Leur outil pour la prise de cotes me semble pas trop mal fichu. Vérification faite, cette voilerie se situe en Pologne, bon c’est l’Europe ! Après avoir pris mes dimensions, je commande.

Pour une fois, je vais faire un peu de pub : relation client parfaite, les échanges de mails se font en bon français, à plusieurs reprises ils me contactent pour des précisions. Ensuite les délais sont courts une petite quinzaine de jours après je reçois la voile. Et là : franchement, je suis épaté par la qualité du travail et des finitions : nickel !

Donc je monte la voile sur emmagasineur et voilà le Skerry équipé avec de la toile devant !

Le foc taillé par Horizon sails en place
Spi déployé, le foc est roulé.

Reste plus qu’à tester tout ça !

Il demeure néanmoins des questions en suspens : faut-il rajouter une sous barbe pour conforter le bout dehors ? Par ailleurs, j’ai utilisé du chanvre de manille pour les écoutes, bras et drisses. Je pensais que c’était meilleur que le chanvre que j’utilisais jusqu’alors mais si cela semble robuste c’est un peu rustique !

Enfin, pour en revenir à la grand voile :

Détail : la poulie double sert d’une part pour la prise de ris et d’autre part pour le bêleur qui permet régler la bôme au petit poil.
Le bêleur vue de l’autre côté.

Foutue bordée de novembre…

Alors que notre ami Claude Gros vient juste de larguer les amarres vers un autre monde, voilà qu’un autre marin est parti lui aussi, Alain Gliskman.

Claude, c’était un de ces rudes gars du Jura, fier et humble, un ébéniste, artisan du bois, qu’il savait travailler pour faire naitre des meubles mais aussi un chouette petit bateau que nous avions baptisé un bel après midi de septembre à Vouglans.

Ce bateau, il l’avait totalement imaginé, conçu et réalisé : « j’avais pour ambition de construire un bateau en bois et notamment son gréement (mât, bôme, espars…) en épicéa du haut Jura »...

Avec Claude nous avions tiré des bords sur le lac Vouglans, dans son cher Jura mais, aussi sur celui du Der où nous avions fait connaissance et échangé autour du Maraudeur que nous avions pratiqué l’un et l’autre…

Adieu vieux camarade, c’est au téléphone au printemps dernier que tu m’avais appris la saloperie qui t’étais tombée dessus… Le temps est vite passé et c’est en novembre que tu nous quittes. Alors, bon vent l’ami vers d’autres rivages…

Nous croisons le bateau de Claude dans les petits airs de Vouglans en septembre 2016.

A peine la triste nouvelle tombée, c’est par la presse que l’on apprend le décès d’un ancien grand nom de la voile, Alain Gliksman.

Oh ! bien sûr, ce gars là, je ne l’ai jamais vu mais, lu et relu, ça oui !

… Et suivi ses exploits dans les courses au large de l’époque sur des bateaux qui n’étaient pas encore tout a fait les panneaux publicitaires flottants qu’ils sont devenus…

Les revues nautiques de ma jeunesse, Neptune qu’il avait crée en particulier, structuraient mon univers avant je puisse avoir enfin un vrai bateau à moi…

Ah, oui ! fichue bordée de novembre…

La Der des ders ?

Dernière navigation de l’année ? Pas sûr ! En tous les cas, dernier rassemblement pour cette année.

photo Emmanuel Conrath (ici avec le moteur le vendredi, la suite sera sans moteur et avec les avirons ! )

Après Pareloup et Festivoiles en juillet nous étions donc au lac du Der en Champagne pour un rassemblement avec Pirate du Rhône : Terre et Der !

Raoul inscrit au rôle des équipages de Pirate du Rhône observe la flotte

Nous connaissons le lac du Der à l’occasion des rassemblements Arwen Marine alors que le lac est plein, les champs de colza éclatants de jaune sous le soleil printanier et que le vent est au rendez vous.

Mais là, c’est une toute autre musique. Il semblerait que le réchauffement climatique ne soit pas une vaine polémique de réseau social. Toujours est-il qu’au 6 octobre la température est estivale.

Le niveau de l’eau est bas, très bas, normal en fait puisqu’il s’agit de réguler le niveau des crues de la Marne sur la capitale.

Résultat, une vision inédite du plan d’eau et surtout le passage annoncé des « demoiselles du lac », les grues et autres oiseaux migrateurs.

Le temps des copains sur une plage du bout du monde…

Résultat : trois jours de pétole nonchalante dans des petits airs, autrefois on aurait dit un temps de demoiselle… sous un soleil généreux mais peu agressif, en louvoyant au milieu des pécheurs de brochet qui consciencieusement accrochent les bestiaux, les remontent sur leur barque, les mesurent, prennent une photo et les rejettent à l’eau… Chacun son plaisir… (pauvre con aurait dit un brochet malpoli…)

photo Jean Marie Morlet

Toutes les photos de ce merveilleux rassemblement ici.

Sur la Saône

A la mi septembre nous avons profité de l’été qui s’éternise pour une petite escapade sur les bords de la Saône au sud de Mâcon.

Le camping du pont D’Arciat est très sympa et accueillant, très ombragé, directement au bord de la rivière disposant même d’une cale de mise à l’eau.

Camping très ombragé.

C’est la base idéale pour une petite exploration de la Saône. Cette fois je configure le Nomad en biplace, enfin triplace avec le chien !

Embarquement sur la cale du camping. Il fait très chaud, peu de navigation, quelques péniches paquebots de croisière dont les passagers sont calfeutrés dans les cabines climatisées !
Remontée jusqu’aux faubourgs de Mâcon.
Escale à Mâcon. Raoul, est parti se dégourdir les pattes !

Le lendemain je retourne seul sur la rivière, j’explore une petite rivière qui se jette dans la Saône. Un cours d’eau qui ressemble à la Varèze.

Exploration d’un petit affluent enchâssé dans la verdure.