Itinéraire salé d’un marin d’eau douce ou comment j’en suis venu au voile aviron. (11)

Venexiana !

Entre 1982 et 1988 je résidais à Sofia en Bulgarie. La ville située au pied du mont Vitocha était loin de la mer. J’avais néanmoins pu mettre dans mes bagages une planche à voile, discipline à laquelle je me livrais en parallèle aux navigations en Fireball. Le bateau étant hélas resté en France, la planche permettait de « passer la rage ». Dès la fonte de la glace au printemps, je délaissais les skis pour naviguer sur le lac d’Iskar. Il fallait faire gaffe ! D’une part de pas trop tomber à l’eau qui était plutôt froide et d’autre part de ne pas s’approcher de la rive opposée car c’était une zone militaire. Nous étions encore à la grande époque du communisme triomphant et on ne rigolait pas trop avec les zones interdites. Il se disait que le coin abritait des camps d’entraînement pour les Palestiniens. Bref, pour plus de détails se reporter à Trece Timpul !

Les abonnements à mes chères revues me parvenaient via la valise diplomatique et c’est ainsi que je pouvais continuer à rester au fait de l’information nautique. La rubrique de la revue Bateaux que j’épluchais avec un intérêt grandissant était celle des petites annonces. Je n’étais pas bien riche mais l’achat d’un voilier habitable d’occasion commençait à entrer dans le domaine du possible.

Compte tenu du budget envisagé, de la taille souhaitée, je m’orientais vers une unité entre 26 et 30 pieds. Mon kif absolu c’était l’Alpa 950 mais hélas, à l’époque il dépassait mes limites financières… Les modèles qui revenaient le plus souvent avaient pour nom Arpège, Aquila, Folie Douce, Sangria, Tarentelle, First 26, Poker

Arriva enfin l’été de la décision. Nous étions rentrés en France pour quelques semaines de congés. Les recherches avaient été bien dégrossies et après d’ultimes coups de téléphone et visites dans différents ports méditerranéens, je dénichais l’occase idéale : un Trident 80 de l’architecte Daniel Tortarolo.

Pendant des années avec mes parents, lorsque nous descendions à la Grande Motte depuis Avignon, nous longions le chantier SMAP Neptune sur la RN 100 à Domazan dans le Gard. Le nez collé à la vitre de la R16 paternelle je lorgnais les dernières unités produites alignées en rang d’oignon le long des hangars.

Le bateau était basé à Port Camargue. L’ancien propriétaire l’utilisait pour régater en Baie D’Aigues Mortes, en effet cette série avait connue son heure de gloire en compétition à la fin des années 70.

Les premiers temps. amarré au ponton du port public
Le bateau est cette fois amarré devant notre marina et la famille s’est agrandie !

Le jeu de voile était impressionnant, double étai à gorge, spi mais seulement un moteur hors-bord de 4 CV, tout juste bon pour sortir du port, un vrai voilier en somme !

Une visite à la capitainerie avait suffi pour obtenir un anneau dans le port, j’avais même eu le choix de la place… il est bien loin ce temps …

Le bateau était baptisé « Idéfix« . Sympa comme nom mais, j’avais déjà mon idée sur la question. Fan des bandes dessinées d’Hugo Pratt le Trident allait se nommer Venexiana. Les anglais même si on s’en méfie dans la famille, désigne toujours leurs bateaux par « she » alors…

Le voilier était en bon état, au fil du temps je procédais à quelques améliorations. Un matelas supplémentaire dans la cabine avant pour plus de confort. Un enrouleur de génois pour faciliter les manœuvres. Le seul gros problème c’était son moteur. À l’origine il était équipé d’un petit 4CV Evinrude qui avait la détestable habitude de sortir de l’eau dès qu’il y avait un chouia de clapot. Les versions avec un inboard diesel existaient, une installation eût été possible mais je me bornais à remplacer l’engin d’origine par un 9,9CV plus pêchu, doté d’un arbre super long et d’un démarreur électrique. J’avais également acquis une belle annexe que je prenais en remorque en croisière.

Une photo prise dans les débuts avec le HB Mariner 4 CV d’origine

Celles-ci ne furent pas si nombreuses, nous habitions toujours en Bulgarie, les congés en France étaient courts. À part les ronds dans l’eau à la journée dans la baie, en sortant du port c’était soit cap à l’est direction la Camargue, Marseille et les îles du Levant soit à l’ouest vers l’Espagne. Le reste de l’année le bateau était surtout occupé par mon frère Olivier qui s’en servait de point de chute pour pratiquer la planche à voile.

Et puis arrivèrent les enfants, la famille s’agrandissait. Les bébés à bord d’un voilier ce n’est pas très confortable, aussi quelques années plus tard nous avions acheté une marina qui était également notre seul domicile quand nous résidions en France.

Mon frère Olivier prépare la tambouille, nous sommes au mouillage à Porquerolles
Un copain « Morinos » à la barre, Olivier se fait trainer dans l’annexe.
Morinos à la barre
dans l’annexe en remorque… un grand jeu et surtout le moyen de voir le bateau sous spi !
Dans le port au tout début. Toujours une planche à voile accrochée dans les filières !
Et les enfants arrivent !
Extrait d’un livre de bord de Venexiana.

Un bon bateau, un peu gitard mais très équilibré. Au près on pouvait lâcher la barre et aller faire un tour, le cap restait tenu.

Un grand tirant d’eau pas franchement pratique s’il avait fallu naviguer en zone d’échouage, un bateau méditerranéen donc !

Très logeable, c’était un « gros » 8m car peu d’élancements. Disposition classique, pas de cabine arrière mais à quatre en croisière c’était parfait !

Deux souvenirs pour finir .

Le premier : alors que nous rentrions des côtes espagnoles nous sommes tombés en rade d’électricité, il faisait nuit. Plus d’instrument mais surtout plus de feux de navigation ! Notre position nous situait au large du port de Sète. Seulement voilà, plus un poil de vent et surtout une brume d’été à couper au couteau, on ne distinguait pas le sommet du mât. C’était la fin de la nuit, le soleil n’était pas encore levé et les pêcheurs sétois sortaient à toute pompe du port pour gagner le large. On entendait les moteurs qui se rapprochaient mais on ne les voyait pas bien sûr. Olivier à l’étrave soufflait comme un perdu dans la corne de brume tandis que j’éclairais la voile avec la seule torche qui nous restait ! Nous prions pour que les pêcheurs nous repèrent dans leurs radars ! Le vent revenu mais toujours dans la purée de pois nous tirions des bords pour regagner Port Camargue. Sans visibilité on naviguait à la feuille, virant dès qu’on entendait le ressac sur la plage !

Une autre fois nous rentrions des îles d’Hyères. Nous avions été pas mal chahuté au passage du Cap Sicié avec une grosse houle. Nous croisions la routes des Ferry qui gagnaient la Corse. Plus tard dans la matinée, alors que nous approchions de Toulon, je vois tout d’un coup Dudule qui était à la barre qui lâche celle-ci (bateau équilibré je vous dis !) et qui se rue à l’intérieur pour remonter avec la carte marine. « Bon sang c’est quoi cette tourelle ? Pas de haut fond signalé dans le coin ! « . La tourelle en question c’était le kiosque d’un sous marin à moitié immergé que nous avons croisé à quelques encablures…

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Des plans sur la comète… et on s’approche du premier bateau habitable

Toute mon adolescence j’ai dessiné des plans de bateaux. Tout support était bon y compris mes cahiers de cours aux marges crayonnées d’esquisses qui illustraient mes rêves de voyage au long cours…

La rubrique des essais de la revue Bateaux fournissait sur sa page noir et blanc des plans qui pouvaient donner des idées…

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Et je dessinais des plans, des plans… et encore des plans !

Plus tard, en fac, j’écrivais aux chantiers et aux architectes navals qui m’envoyaient sans rechigner leur documentation. L’idée de construire à mon tour une unité transocéanique occupait de plus en plus mes esprits, parfois au détriment de mes études… mais ça, c’est une autre histoire !

La revue Loisirs Nautiques était plus que jamais une source d’inspiration précieuse. Toutes les techniques de construction pour des amateurs y étaient abordées. Les hors séries qui détaillaient tel ou tel aspect du chantier de construction étaient attendus avec impatience !

Construire en kit était à la mode…
Les plans pour amateurs de bateaux en acier, véritables coffres forts étaient nombreux.
Le Grisbi 36 était construit en fibrociment, une technique appréciée par certains constructeurs amateurs.

Bon, disons le tout de suite, je n’ai jamais, du moins pour l’instant, construit de bateau !

La vie active ayant commencé à m’apporter une certaine autonomie financière j’allais bientôt pouvoir acquérir mon premier bateau habitable.

Et en attendant, le Fireball continuait de naviguer !

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Navigations avec le Fireball

Voilà, ça y était, j’avais enfin mon bateau !

Et alors ?

À la Grande Motte avec mon frère Olivier

Deux programmes de navigation nourrissaient mes projets, d’une part la croisière, d’autre part la compétition, la régate.

Concernant le premier, j’allais devoir patienter. Il me faudrait prévoir un navire un peu plus adapté à cet usage. En attendant, je continuais de dessiner des plans de voiliers hauturiers (nous évoquerons ceci un brin plus tard) …

Pour ce qui était de la compétition, j’étais en principe équipé ! Le Fireball était une véritable bête de course !

Une fois le bateau lancé, je m’étais efforcé de compléter et d’améliorer son équipement. Au début, en travaillant l’été et en gagnant quelques sous, je pus me payer un spi. Le top du top c’était le Mountifield tri radial. Ensuite, on installa un avaleur de spi.

A la Grande Motte dans les tous débuts… Je suis avec mon frère Olivier, nous arrivons à la grande cale… très accessible à l’époque !
Les débuts en mer… la photo est prise par mon père depuis le bateau de Moreau. On notera les grues nombreuses qui s’activent pour la construction de la station.
Cette fois, nous avons embarqué Sébastien le « petit » frère !

J’accélère quelque peu le film, plus tard un ensemble complet mât, bôme, tangon, Z Spar vint remplacer les espars originaux. Je dois avouer que je parvins à revendre mon mât ressoudé et ma bôme en bois ! Par la suite, disposant de revenus fixes, un jeu de voiles Chéret se substitua aux Tasker d’origine qui étaient bien fatiguées.

J’étais au top ! Licence en règle, club : ACYC, timbre de l’IFF, certificat du docteur Tissier…

Et pourtant, je potassais le « Pinaud » pour la compète…

Pour les déplacements, j’avais un sérieux problème. Longtemps je n’ai pas eu de voiture et les régates étaient rares à Courtine.

A cela s’ajoutaient le manque d’équipier régulier, un bateau peu compétitif malgré la qualité de sa construction mais surtout un défaut de compétences de son barreur…

Je ne devais jamais régater sérieusement en Fireball, hormis quelques épreuves par-ci par-là.

Régate « saucisson » sur le plan d’eau de Neuvic en Corrèze. Le point rouge au milieu c’est nous !

Cependant durant quelques années, du lycée aux débuts dans la vie active, je multipliais autant que faire se pouvait les navigations.

En mer, en méditerranée tout d’abord avec mes parents. Principalement à la grande Motte., une fois à Toulon. Plus tard sur l’océan avec celle qui était devenue mon épouse, Marie. Un été nous avions pu rallier et naviguer à Douarnenez en Bretagne grâce à notre voiture, une poire !

Sur les plans d’eau intérieurs après Courtine, à Neuvic en Corrèze, sur la Loire sur le barrage de Villerest, sur le lac de Guerlédan en Bretagne intérieure et surtout au Grand Large à Lyon…

Sur le lac de Villerest en 1987 (dans la Loire). Je suis sur le Fireball avec un copain, Gérard et Eric un cousin de ma femme. Nous croisons le Vaurien d’André mon beau-père avec Marie à son bord. Film d’époque sans la HD ni les stabilisateurs d’images…
Sur le plan d’eau du Grand Large à Lyon
Au CVL (Cercle de la Voile de Lyon) je prépare le bateau avec un copain de l’Ecole Normale
Une des dernières vues du Fireball sur l’eau à Neuvic sur le lac de la Triouzoune…
Le bateau est dans la cour. Au retour de Neuvic un caisson fuit et prend l’eau . De sérieux travaux vont devoir être programmés, le Fireball n’a plus navigué depuis cette date.

Ce bateau a navigué ainsi durant plusieurs années. Il a accompagné les premiers temps de ma vie d’adolescent puis d’adulte. Celle-ci a beaucoup fluctué. Je ne m’étendrai pas ici sur tous ses développements, disons simplement que j’allais assez vite entamer un parcours professionnel qui allait me conduire hors de France durant de longues années. Pour ceux que cela intéresserait, j’ai raconté tout ça dans un livre. 

Pour autant d’autres bateaux n’allaient pas tarder à arriver.

J’ai toujours conservé le Fireball. Actuellement il est en cale sèche dans mon garage en attendant une restauration que j’espère prochaine…

À Courtine. Où l’on voit que je vais devoir changer de monture pour songer à la croisière !

Il est temps de passer à la suite… c’est à dire à la taille supérieure !

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Le Fireball, le Fireball, au fait, il n’a pas un nom ce bateau ?

Le bateau n’ayant pas été enregistré aux affaires maritimes, l’attribution d’un nom n’était pas obligatoire. Cependant, nous avions un numéro de voile, 9467, un numéro de plan de construction, 1079. Enfin une plaque d’identification en aluminium vissée dans le cockpit et portant le numéro 3417 nous avait été remise par l’International Fireball France.

Certains régatiers collaient un nom en grosses lettres sur le bordé de leurs bateaux. Ainsi le Flying Dutchman des frères Pajot, médaillés d’argent aux JO de 1972 à Kiel s’appelait O’Sidarta.

Pendant la construction, nous allions assister à des régates dans la région, occasion d’observer de près des bateaux « finis ». Mon père avait beaucoup apprécié un nom relevé sur un Fireball aperçu lors d’une course sur l’étang de Berre. Celui-ci était un peu long, c’était : « T’occupes pas des signaux mets du charbon« …

Au début, mon père avait proposé « Antarès« . Ça sonnait bien, c’était un nom d’étoile, d’étoile rouge (comme le rond emblème de la série). L’astre faisait partie de la constellation du Scorpion, ça tombait bien aussi puisque j’étais né en octobre, sous le signe du Scorpion…

Donc ce fut Antarès pendant un temps sans que le nom soit peint sur la coque.

Quelque temps après, sûrement après avoir vu le film et pour rester dans la veine comique, le nom « Les tontons flingueurs » lui succéda mais toujours sans marquage sur le tableau ou sur le bordé.

Enfin, j’eus une époque « bretonnante » et le nom de « Brocéliande » me séduisit au point que cette fois je le collais sur le bordé en grosses lettres blanches découpées dans du Vénilia.

Il y eut pendant un temps une inscription qui se voulait humoristique sur le bateau. Cependant celle-ci était invisible en position normale…

Comme je l’avais indiqué, j’avais voulu une peinture noire pour la coque. On avait bien avait tenté de m’en dissuader mais, je n’en avais pas démordu. Il se trouvait qu’une fois retournée, la coque à bouchains vifs ainsi peinte ressemblait furieusement à un… cercueil !

Facétieux, mon père accentua la ressemblance en peignant un trait argenté perpendiculaire au puits de dérive ce qui formait une croix parfaite et inscrivit dessous en lettres blanches : « Regrets éternels »…

Cette inscription n’était visible qu’une fois le bateau à l’envers. Or c’est bien connu, le Fireball est un dériveur volage où les dessalages ont vite fait de sanctionner la moindre erreur de navigation.

Lors d’une régate avec Dudule sur le lac de Serre-Ponçon à Savines, nous nous étions mis sur le toit suite à un méchant départ au lof incontrôlé dans le bord de vent arrière. Je me souviens de la surprise de l’équipage du bateau qui nous suivait à la vision de deux lascars s’efforçant de grimper sur un cercueil flottant… Du coup, ils étaient eux aussi allés au tas !

Cependant cette inscription n’était pas du goût de mon grand-père qui en rogne, exigea que l’effacions.

Ce qui fut fait…