Itinéraire salé d’un marin d’eau douce ou comment j’en suis venu au voile aviron. (19)

Venexiana III

Nous étions de retour en France, à Lyon où les régates avec le Maraudeur Raspoutine se poursuivaient tout au long de l’année.

Mais nous avions toujours notre marina de Port Camargue., le Marau dans notre mouillage faisait un peu riquiqui ! De plus optimisé pour la régate ce n’était pas vraiment un bateau destiné à la croisière… Depuis le balcon de la résidence qui donnait sur la sortie du port, on distinguait à l’extrémité d’une des pannes du port publique la silhouette élégante d’un joli « bateau bleu ». Ce voilier était à vendre…

L’idée d’un « gros » bateau à la mer et d’un « petit » pour le Grand Large et les régates de Lyon faisait son chemin…

Le bateau était ancien mais dans un état correct. J’étais séduit par son look « vintage » qui avait tout de suite attiré mon attention. C’était un Trapper 400 MK 3 des architectes Cuthbertson & Cassian. Un modèle plutôt rare. Il me rappelait, la barre à roue en moins, l’Alpa 950 qui m’avait tant fait rêver.

Trapper 400 MK 3

Et c’est ainsi qu’Amogha, aussitôt rebaptisé Venexiana 3 devint notre nouveau navire amiral.

Il était équipé d’un moteur diesel Arona monocylindre que l’on démarrait avec un décompresseur comme une mobylette et dont le tap tap régulier faisait entendre la musique d’un chalutier poussif.

Venexiana 3 – immatriculée à Rouen

Les aménagements étaient classiques, pas de cabine arrière. Bien que plus long que le Trident mais en raison de ses élancements, il était moins spacieux à l’intérieur. Je ne l’avais pas payé très cher, je disposais d’un anneau de port, il allait être possible de prévoir quelques aménagements. Changer le moteur, un pont en teck… pourquoi pas ?

« le bateau bleu » c’est ainsi que les enfants l’appelait !

En réalité il n’en fut rien. Un an après nous cédions la marina pour acquérir une maison dans la région lyonnaise. N’ayant pu vendre le bateau à Port Camargue, j’avais dû prendre la décision de le rapatrier sur le plan d’eau du Grand Large où il resta quelques mois au mouillage sur un corps mort. Je finis par trouver un acheteur dans la région et son départ du club quelque peu rocambolesque.

Somme toute, un bateau bien équipé

Le nouveau propriétaire qui habitait Valence avait affrété un semi-remorque pour transporter le bateau jusqu’au port de l’Épervière sur le Rhône où il souhaitait le baser. Premier souci, la grue du club qui nous servait à mettre les bateaux à l’eau tomba en panne. Il fallut faire venir en urgence une grue sur camion qui réussit à poser le bateau sur le plateau du semi-remorque. Problème… Les transporteurs de bateaux utilisent des remorques surbaissées pour tenir compte de la hauteur des voiliers avec un lest… ce n’était pas le cas ici et les gabarits routiers étaient dépassés… Le chauffeur maudissait ce fichu rafiot qui allait l’obliger à éviter les ponts … À dire vrai il a dû réussir car je n’ai plus jamais entendu parler de lui ! Quelques années plus tard j’eus l’occasion de visiter le port de l’Épervière. Je ne vis pas le bateau… Le nouveau propriétaire avait surement réussi à réaliser son rêve qui consistait à rallier Tahiti !

Vaste cockpit.

A suivre : encore heureux qu’il ai fait beau et que la Marie Charlotte soit un beau bateau !

Itinéraire salé d’un marin d’eau douce ou comment j’en suis venu au voile aviron. (6)

Le Pinasson et le Fireball... Construction navale…

J’étais élève en classe de troisième du vieux et charmant collège d’Enseignement Général Thiers à Avignon intra-muros. Le directeur, on ne mentionnait pas la fonction de principal, était Monsieur Cucumel. Nous, bien sûr, on disait Cucu en parlant de lui mais c’était affectueux. Nous éprouvions un profond respect pour cet homme, authentique héros de la Résistance, ayant occupé temporairement des responsabilités importantes dans l’administration de la ville à la Libération. Quand j’étais pris à faire une connerie, il me saisissait tendrement par les cheveux au niveau de l’oreille en tirant vers le haut, (manœuvre que je contrais en me hissant sur la pointe des pieds) et me tançait de la sorte : « Jamois, tu ramasseras tous les papiers de la cour »… Sans être un foudre de guerre, je n’étais pas un mauvais élève mais, le niveau de ma classe n’était guère élevé… Je vous épargne les détails, j’en aurais trop à raconter ce qui nous éloignerait du sujet.

Mon père qui était lui-même professeur de sciences naturelles dans ce vénérable établissement m’avait annoncé la couleur : « si tu réussis le concours d’entrée à l’École Normale, je te paye un 420« … La barre était placée très haute, cette épreuve étant à l’époque réputée très difficile.

Je vous épargne le pourquoi du comment mais, déjouant tous les pronostics, il se trouva que je me retrouvais admissible à l’écrit mais que j’échouais à l’oral. Semi-succès dans la mesure où l’oral me donnait d’office le Brevet sans avoir à me présenter à l’examen mais le plus important pour moi, râteau pour le 420

Mon père, bon prince, prenant acte de cette demi-réussite m’annonça alors : « ben je vais te construire un bateau »

Comme je l’avais déjà expliqué, mon paternel était très doué pour les travaux manuels. Cependant, ses talents s’illustraient surtout dans les domaines de la fabrication de meubles, de la maçonnerie, de la plomberie, de la ferronnerie, voire de la mécanique automobile (et de la peinture de carrosserie), de l’élaboration d’ingénieux dispositifs divers et variés mais, pas vraiment dans celui de la construction navale…

Toutefois, il avait observé la fabrication du Cap Corse de Moreau en bois moulé et pour lui, la réalisation d’un tel petit bateau ne paraissait pas présenter un obstacle insurmontable.

À l’époque, mon père était abonné à deux revues : Sciences et Vie et Système D. Ce dernier magazine, source inépuisable d’inspiration pour les bricoleurs, publiait des exemplaires bimestriels hors série. Il se trouve que le numéro 56 était dédié à la construction de divers petits bateaux et parmi eux, d’un joli petit dériveur en bois moulé, le Pinasson.

Le fameux numéro spécial de Système D contenant le plan du Pinasson

Disons, pour avoir une idée, que c’était un petit dériveur de 3,50m assez semblable au Zef que nous louions à la Grande Motte. Sur le plan de la réalisation technique, c’était en quelque sorte la même chose que le bateau de Moreau mais en plus réduit. Si Jo avait réussi à construire un Cap Corse, il se faisait fort de venir à bout de ce genre de coquille de noix. La nouvelle maison était terminée, certes il y avait encore quelques aménagements à prévoir, mais le garage était vaste et spacieux, propre à abriter un chantier naval.

Les plans du Pinasson, construction en bois moulé

De mon côté, j’étais partagé. Sans doute, j’allais avoir un bateau, je ne remettais pas en cause les capacités de mon père mais, bon comment dire… Le Pinasson, ce n’était pas franchement sexy…

Et puis un jour, Moreau, revenant de la Grande Motte, nous parla avec enthousiasme d’un dériveur sensationnel, conçu pour être construit par des amateurs : le Fireball !

En attendant mon bateau… je le dessinais !

Mais, c’est que là, on changeait de dimension ! À l’époque, ce dériveur anglais de l’architecte Peter Milne était l’équivalent du 470, c’est à dire la classe bien au-dessus du 420 ! En plus candidat pour devenir série olympique ! Ah ! oui, quand même…

La construction semblait plus simple à mettre en œuvre : coque à bouchains vifs en contre-plaqué. Il suffisait de se procurer du contre-plaqué de qualité marine auprès des établissements Charles à Paris et en avant Guingand !

Les liasses des plans du Fireball portant le numéro 1079

Et c’est ainsi, qu’ayant acquis le plan numéro 1079 auprès de l’association française des propriétaires : « l‘International Fireball France« , mon père se lança dans l’aventure de la construction navale.

Le Fireball en construction : une phase délicate consistait a bien respecter la courbure pour entrer dans la jauge. Tout un échafaudage de fils à plomb avait été nécessaire…
Vue de devant. Mon père avait dû fabriquer toute une série de petits serre-joints…

L’affaire étant cependant ardue, les plans certes accompagnés d’un dossier complet présentaient une première difficulté : les mesures étaient anglaises. Leur conversion en système métrique aboutissait à des décimales infinies mais néanmoins impératives à respecter pour se conformer à la sacro-sainte jauge ! Mon pauvre père (n’oublions pas que nous n’aimions pas trop les Anglais dans la famille) s’arracha les maigres cheveux de sa tignasse pour mettre au pli les dimensions du fourbe vaisseau de la perfide Albion afin de les convertir dans des unités laïques et républicaines.

Durant la construction, de nombreuses lettres pour demander des précisions avaient été échangées avec l’IFF. À l’époque, on écrivait, on téléphonait peu (c’était cher !).

La construction fut longue, enfin me semblait-il, et épuisante. Ça, ce n’était pas du chiqué. J’ai vu de mes yeux vu, les gouttes de sueur de mon pauvre père tomber et s’étaler sur le contre-plaqué marine plaqué acajou (de première qualité). Tandis qu’une méphitique odeur d’urine en provenance de la colle de marque « Mélocol » se répandait dans le garage mal aéré.

La coque enfin terminée, il fallut s’atteler à ce qui devait permettre au fier vaisseau de prendre la mer, c’est-à-dire l’équiper d’un accastillage complet et d’un gréement.

Les bulletins de l’International Fireball France la revue de l’association de propriétaires

Le mât constituait un premier obstacle de taille… Heureusement, grâce aux petites annonces du bulletin de l’IFF auquel nous étions abonnés, une solution entrant dans les budgets contraints du ministère de la Marine familiale nous fut fournie. Un exemplaire d’occasion de la marque Proctor était disponible à la vente à un prix raisonnable. La transaction fut rondement menée. Problème, le vendeur créchait en région parisienne. Qu’à cela ne tienne, le service de fret de la SNCF, le SERNAM allait se charger du transport de l’espar de l’austère banlieue parisienne au soleil de la Provence.

Tout semblait réglé quand le calendrier se sentit obligé de faire des siennes. Nous étions au milieu de l’été, et les truites du Drac attendaient impatiemment les hameçons de mon père pour achever leur bref transit des eaux cristallines du torrent alpin aux assiettes en mélanine de notre cuisine de camping de Pont-du-Fossé.

Qu’à cela ne tienne, notre voisin Giraud, communiste notoire et infirmier à l’hôpital psychiatrique de Montfavet (établissement réputé dans les milieux artistiques pour avoir accueilli parmi ses pensionnaires, Camille Claudel) proposa ses services. Contrairement à ces feignants d’enseignants, il bossait au mois de juillet et se fit fort de réceptionner le colis en provenance du Grand Nord puis de le stocker dans notre garage en attendant le retour de notre villégiature alpestre.

À Pont-du-Fossé, les truites, braves filles, se succédaient dans nos gamelles. Moi je m’en foutais, attendant chaque jour la lettre de l’infirmier communiste, annonçant l’arrivée de mon précieux mât. Eh oui ! à cette époque, pas de mail, pas de téléphone, enfin si, à la poste du village (mais ça coûtait bonbon).

Enfin, la bonne nouvelle nous parvint au camping. Sous l’auvent de la caravane Digue (cuisine latérale (le modèle « Cuisine en bout » étant notoirement plus onéreux), mon père décacheta la missive de notre très serviable voisin laquelle disait à peu près ceci : « chers amis, votre mât est bien arrivé et (point de suspension…) en deux parties ».

Un silence dubitatif avait suivi cette lecture. Je m’égosillais que non ! Le Proctor D mesurait bien 7 m et quelques mais, en un seul tronçon ! À l’examen plus attentif du message, notre infirmier psychiatrique communiste précisait que de petites billes blanches s’écoulaient du paquetage. Peut-être une agacerie de l’emballage ?

La réalité était beaucoup plus crue. La SNCF avait cassé mon mât en deux… Il faut dire qu’à l’époque la ligne qui desservait notre modeste gare de Morières-les-Avignon était assurée par des convois remorqués par des locomotives à vapeur de type 141R, chauffe au fuel certes, mais enfin ce n’était pas une raison. Mon père déclara que ces (ce sont ces mots) « empaquetés de la SNCF » n’avaient pas été foutus de transporter un mât de 7 m (et quelques) de long et qu’on allait voir ce que l’on allait voir !

Bon du coup, en rentrant à la maison, on a bien vu ce que l’on devait voir, c’est-à-dire avant tout, deux jolis morceaux de mât, soigneusement entreposés dans le garage familial à côté de la coque du Fireball terminée. Le paternel prit alors sa plume la plus acérée pour réclamer auprès du chef de gare réparation du préjudice subi. Allez savoir pourquoi, les chemins de fer français sans doute peu habitués à transporter des éléments de mâture de la région parisienne vers le Midi, après bien des tergiversations, consentirent à verser à mon père un dédommagement qui adoucit quelque peu son courroux mais ne résolvait pas mon problème dans l’immédiat.

Mon père conservait des copies de ses courriers (la lettre originale a été recopiée, pas de carbone, pas d’imprimante !)

En attendant, j’avais l’air couillon et les boules avec deux demi-mâts tout à fait impropres à propulser un dériveur de compétition vers les sommets des classements des régates à venir.

Mon père, confronté à la question, se gratta la tête. Souder, ça, il savait faire. Oui, mais la ferraille, c’est à dire, les ferronneries de volets, un portail, un soc de charrue, des trucs dans le genre mais, souder de l’aluminium… bernique. Il ne baissa pas pavillon pour autant. Il s’attela dans un premier temps à confectionner une robuste âme en fer d’une cinquantaine de centimètres d’un poids respectable susceptible de s’insérer dans le profil creux de l’espar. Grâce à un voisin qui travaillait à l’Electro réfractaire à Sorgues (ou au Pontet, je ne me souviens plus), il dégotta un soudeur capable de relier les deux tronçons du mât en un seul morceau (renforcés en plus par l’âme en fer).

C’est ainsi que se trouva résolu le premier problème : le Fireball étant désormais pourvu d’un solide mât, en un seul morceau, présentant juste une légère angulation en son milieu. Il était certes un peu plus lourd qu’à l’origine… mais enfin, les sept mètres étaient redevenus une pièce unique.

Restait la suite, à commencer par la bôme. La station-service Esso (qui accessoirement faisait office d’arrêt pour les cars Arnaud venant d’Avignon située sur la nationale à l’entrée du village et proche de notre ancien lotissement faisait également dans le commerce de la brocante. Le tôlier proposait à la vente des mâts en bois destinés selon lui à confectionner des rampes de balcon.

Pour 5 Francs de l’époque, un tronçon nous fournit de quoi produire une bôme fort acceptable qui, peinte en noir, avait de plus fort belle allure.

Restaient les voiles. Là encore, la revue de l’association nous permit d’acquérir un jeu de voiles Tasker, certes dépareillés mais assez potables. Je pus ainsi coller le numéro 9467 attribué par l’IFF dans la grand-voile dominée par le fier rond rouge, emblème de la série.

Pour l’accastillage, le magasin de Courtine me fournit les quelques taquets, filoirs, poulies et cordages nécessaires destinés à finaliser l’armement de base. Courtine c’était un plan d’eau au sud d’Avignon situé à la confluence de la Durance et du Rhône. À l’époque on y avait installé un semblant de port de plaisance, avec pontons et catways, un club de voile (Avignon Courtine Yatching Club) et un schipchandler.

Pour être complet, je me dois de préciser qu’au cours de l’année de terminale, j’avais réussi à trouver avec mon pote Dudule, un moyen de pratiquer la voile à peu de frais. La MJC de la Croix des Oiseaux (un quartier d’Avignon) y avait basé un vieux 420 que nous pouvions utiliser à volonté contre une modique cotisation annuelle. Le rafiot était passablement usé, les caissons fendus, les voiles plus proches de la robe de Madame Sarfati que d’un dériveur de régates mais baste… ça flottait.

Pour se rendre à Courtine c’était coton, je devais prendre mon vieux vélo (à 3 vitesses) retapé par mon père tandis que Dudule disposait d’un antique Solex, un des premiers modèles dont le son du moteur avait pour seule fonction d’accompagner d’un bruit harmonieux et encourageant le pédalage intensif du cyclomotoriste s’il souhaitait avancer. Les jours de Mistral, aller à Courtine était fastoche, revenir, une galère, le long du Rhône face au vent avant d’apercevoir les remparts de la cité papale et le pont Saint-Bénézet. Avec le vent du sud c’était pareil mais dans l’autre sens…

Nous étions en 1975, après trois ans le Fireball allait être mis à l’eau à Courtine.

Mon premier bateau… enfin !

On the Rhône again !

Aller hop ! on gonfle le kayak à la maison, histoire de gagner du temps et on descend au bord du Rhône, direction l’ancien bassin de joutes de Chavanay, au bord de la ViaRhôna.

Quelques derniers préparatifs, mise en place du moteur. Pas un pet de vent, je laisse la voile dans la voiture.
La cale qui sert essentiellement pour les pêcheurs !

Il fait chaud en cette fin d’été, le fleuve apporte un peu de fraicheur

Les deux piles de l’ancien pont de Chavanay. Derrière, les vignes en pleine vendange sur les contreforts du Pilat.
En haut de la colline : notre village de Saint Michel sur Rhône… dans la Loire !
Le Rhône est un fleuve vivant, on croise de gros bateaux de fret mais aussi de passagers.
Château Grillet, un des plus vieux vignobles de France. Le vin de la région était déjà renommé à Rome !
Sur l’autre berge, le joli village de Saint Alban. Un peu plus bas se trouve la centrale nucléaire du même nom…
Un petit coin que j’affectionne : la Varèze, un petit affluent du grand fleuve. Le kayak permet de se glisser dans très peu d’eau, beaucoup de poissons qui s’égaient devant moi.
Petite pause
Ce qui est enquiquinant ce sont les fichues algues qui se coincent dans l’hélice…
La trace d’un jolie balade nonchalante par un bel après midi de début d’automne.