Itinéraire salé d’un marin d’eau douce ou comment j’en suis venu au voile aviron. (18)

Le Maraudeur fantôme.

Cela aurait dû être mon deuxième Maraudeur. Les copains de l’AS savaient que je recherchais un « bois » à retaper.

Je reçois un jour un coup de téléphone de Loulou (Louis Blancanneaux) qui m’annoce tout de go:  » y’ a un gars, en Bourgogne, qu’a un Maraudeur en bois, il est prêt à le donner en échange de quelques bouteilles de pinard »…

Fichtre ! L’aubaine ! Contact pris avec le généreux propriétaire, je me munis de quelques flacons et nous voilà partis avec mon fils aîné et avec la remorque vide de Raspoutine à la recherche de ce fameux Maraudeur en bois tant convoité .

Effectivement, au fin fond d’une campagne bourguignonne nous finissons par dénicher l’adresse et là, nous tombons sur une ferme et un gus qui se gratte la tête, « ah ! le Maraudeur oui, on va aller le dégager »…

Le voilà qui met le tracteur en route et qui se dirige vers un de ces terrains vagues qui entourent parfois nos exploitations agricoles. Là, au milieu d’un fouillis indescriptible de bottes de paille pourries, de vieux engins agricoles déglingués, de palettes, on découvre ce qui semble bien être un Maraudeur couché sur le flanc. Ni une, ni deux, le type passe des cordes sous la coque et à l’aide de la fourche du tracteur le voilà qui soulève le bateau et vlan qui le dépose sans ménagement sur notre remorque.

Il commence à faire nuit, on ne voit plus grand-chose et tant bien que mal nous brêlons l’embarcation. Salutations d’usage échangées, nous prenons la direction l’A6 pour reganher la maison.

Bon évidemment vous me direz, c’était une occasion… Enfin, pour une occase, c’était une occase !

Le lendemain matin au grand jour me voici à examiner de près mon acquisition de la veille. De loin pas de doute c’était un Maraudeur mais de près le bateau avait un drôle de profil vrillé.

Et à la lumière l’étendue du désastre apparaît. En fait, ce bateau en bois avait été plastifié par un ancien propriétaire. Le problème, c’est que l’eau s’était infiltrée entre le tissu de verre et le bois et celui-ci avait complètement pourri. Le rafiot était irrémédiablement fichu et irréparable.

La mort dans l’âme je me suis résolu à récupérer ce que je pouvais, un peu d’accastillage, des balcons, le lest, la dérive et le rouf en polyester.

Le reste a fini tronçonné et brûlé dans le jardin.

Depuis, il parait que certains soirs de grand vent, on peut voir la silhouette d’un Maraudeur navigant entre les arbres du jardin…

A suivre, prochain épisode : Venexiana 3…

… mais le chapitre des Maraudeurs n’est pas encore tout a fait terminé, il y en aura bien un troisième !

Itinéraire salé d’un marin d’eau douce ou comment j’en suis venu au voile aviron. (17)

Les croisières en Maraudeur !

Il est bien spécifié que le Maraudeur est un petit voilier bien adapté au camping côtier pour… deux personnes.

N’ayant pas bien lu le mode d’emploi, nous avons évidemment pratiqué ce genre d’exercice à six…

Pas question de dormir à deux adultes et quatre enfants dans un si petit espace mais nous avons pu néanmoins utiliser ce merveilleux bateau pour quelques croisières côtières.

Tout d’abord en Bretagne. Nous nous étions retrouvés à quelques Maraudeurs dans un camping au bout de la presqu’île de Quiberon. Nos bateaux étaient au mouillage à quelques encablures de la plage.

Trois Maraudeurs en maraude dont le fameux 91 de Babar !

Des bords tirés dans la baie puis une plus grande expédition, dans le golfe du Morbihan où nous nous sommes retrouvés chez un ami qui possédait une maison, tout au bout, du côté de Conleau. Le soir après une ripaille très mousticailleuse, je me souviens avoir dormi à mon bord avec un de mes fils tandis que le reste de la famille trouvait un hébergement plus confortable dans le bateau de Loulou (Louis Blancanneaux).

Moussaillons sur Raspoutine

Babar au premier plan se dirige d’un air décidé vers …
Échouage sur la plage
Et le numéro spécial de l’AS, « la bible » garde une trace de cette mémorable expédition !

Le temps des régates en Maraudeur avait pris fin. Gallo était parti pour de nouvelles aventures en deltaplane et nous, après quelques trois ans passés en France, nous prenions la direction d’un autre pays pour le boulot.

Cap au nord, direction Göteborg en Suède. Cette fois le Maraudeur était du voyage ! On avait attelé Raspoutine derrière le « Caramazout » (notre véhicule familial transporteur de troupe, un valeureux Toyota Lite Ace) et en route vers le grand nooord !

Quelque part sur une aire d’autoroute au Danemark
Dans le ferry de la Stena Line entre Frederikshavn au Danemark et Göteborg en Suède

En Scandinavie, l’hiver est long… les jours sont courts, Autrement dit, le bateau est resté quelques mois devant la maison en attendant le printemps.

La Suède est un pays de marin, leurs bateaux sont magnifiques et superbement entretenus. En hiver ils sont tous sortis des ports et abrités à terre dans de petites constructions plus ou moins élaborées mais toujours réalisées avec soin.

Nous avions trouvé un petit port pour amarrer le Maraudeur. Ce fut alors l’occasion de belles balades dans un chouette espace de navigation mais pavé de cailloux partout ! En fait on gardait la carte marine en permanence sur les genoux. Ce qui ne m’a pas empêché, voulant prendre un raccourci et confiant dans mon faible tirant d’eau, de talonner un jour assez rudement. Et les enfants de sortir en criant de la cabine : « on coule ! on coule ! » Heureusement sans dommage !

Des iles et des cailloux partout !

Le séjour en Suède fut le plus court de notre parcours à l’étranger, (pour les détails voir le chapitre « au pays des trolls dans Trece Timpul...).

Un an après notre arrivée nous reprenions la route du retour vers la mère patrie.

A suivre : le Maraudeur fantôme…

Itinéraire salé d’un marin d’eau douce ou comment j’en suis venu au voile aviron. (16)

Les années Maraudeur, le temps des régates.

Question régate, le Fireball avait été frustrant. Trop lourd, pas d’équipier, pas de voiture pour se déplacer, équipement baroque… avaient été les raisons officielles pour justifier les piètres résultats enregistrés. En réalité c’est plutôt mon manque de compétences qui en était la cause…

Avec Ondine dans l’océan indien, ce fut le petit temps et mon ami Peter Darch qui nous avaient conduits au triomphe du Hardy’ trophy…

Cette fois la réussite avec Raspoutine allait être le résultat d’une subtile alchimie.

Si pour l’Etap le rating, c’est à dire le handicap nous desservait, en ce qui concerne le Maraudeur, il en était tout autrement. Il existe plusieurs générations de Maraudeurs aux performances plus ou moins différentes. Conséquence : pour la FFV on comptait deux types de rating : un pour les modèles réputés « performants » : les anciens Maraudeurs en bois et les « Gallois » (du chantier du même nom) et un deuxième pour les autres, ceux sensés être « moins performants », comme le Spair et qui concernait Raspoutine.

National Maraudeur 1995 lac de Pierre Percée dans les Vosges

Et c’est là que résidait l’astuce. En effet, si un Spair avec son mât cylindrique, « le poteau » était effectivement peu « performant » tout changeait si on l’équipait d’un mât à retreint et d’un bon jeu de voile… Alors c’était une tout autre musique ! Pour dire les choses simplement, un Spair bien affûté devenait aussi rapide qu’un bois ou qu’un Gallois ! Résultat des courses : on allait aussi vite et souvent plus vite que les autres bateaux de notre catégorie et à l’arrivée on nous rendait du temps grâce au handicap… L’arme absolue.

Oui, mais tout cela ne suffit pas…

Un bateau c’est avant tout un équipage. C’est là que réside la différence. J’ai eu la chance de rencontrer mon pote, mon poto, mon Gilles. Il a su me fournir le plus beau, le plus efficace des accastillages : l’amitié.

Gallo mon poto…

Gallo, une forte tête de de bourrique mais Bon Dieu qu’est-ce qu’on a pu rigoler… D’abord pour mettre au point le bateau. Je me souviens de la superbe barre qu’il avait confectionnée en ‘lamellé collé », c’était son truc de l’époque. Résultat, la première fois où il a abattu en grand, la barre a plié comme un roseau et le bateau a continué tout droit ! Je suis injuste car Gilles est un super artisan, de tout, ses réalisations sont dignes des grands professionnels. Bon, sauf là…

Avec Gallo on s’est entendu tout de suite. C’est lui qui barrait. Moi j’assurais le reste, les yeux rivés sur les penons qu’il m’avait fait coudre sur mon foc. « Attentif, attentif »… je me souviens de ses mots.

Gilles c’est un tacticien et un stratège hors pair. Le plan d’eau, il a eu vite fait de le lire et la tactique, les vieux renards du Grand Large, ils en pleurent encore, du moins pour ceux qui sont encore vivants…

Ah ! on en a gagné des régates sur le Grand Large ! Pour une raison simple : nous étions premiers en temps réel… et on nous rendait encore du temps au calcul du handicap !

Moisson de coupes remportées avec Raspoutine

Mais avec le Maraudeur j’ai retrouvé une autre composante qui allait prendre de plus en plus d’importance dans mon parcours de marin d’eau douce. Déjà avec le Fireball j’avais adhéré à l’IFF, l’association de propriétaires, mais cela était somme toute resté assez lointain. Avec le Maraudeur il en fut autrement. L’aspro allait me m’ouvrir d’autres horizons et surtout d’autres rencontres.

L’association c’était un bulletin et un rendez-vous annuel : le National Maraudeur.

Les bulletinhs de l’AS Maraudeur

Le National se courait tous les ans à la Pentecôte. Le vainqueur remportait un magnifique trophée la coupe Desestre Cadoux . En réalité, la coupe en or massif d’une très grande valeur ne quittait son coffre que pour être admirée le jour du National. L’histoire de cette mythique coupe est à lire sur le site de l’AS Maraudeur.

la coupe en or massif Desestre Cadoux.

Des nationaux nous en avons couru deux. Dans les Vosges au lac de la Pierre Percée et au lac du Bourdon. Dans les deux cas nous n’avons pas fait beaucoup d’étincelles…

Dans le bulletin numéro 105 de l’AS Maraudeur Daniel Barthelet, dit Babar écrivait « … le déplacement dans l’est nous a permis de fréquenter de nouveaux équipages : le gang des Lyonnais sur un Spair bien accastillé, qui s’était entraîné dans l’hiver dans la brise… décidés et agressifs l’équipe JAMOIS GALLO aurait certainement été mieux classée dans des conditions plus musclées »

Au Bourdon c’était mieux, nous terminons 4ème. (mais le chablis était excellent !)

C’était à chaque fois l’occasion d’un déplacement en famille avec les Gallo, en camping dans des clubs sympas et chaque fois sous la pluie ! Et même si les régates étaient sérieuses, c’était surtout de grands moments de rigolade et de convivialité avec des tas de nouveaux copains. L’association était à l’époque dirigée par un super mec, Louis Blancanneaux, Loulou, complètement frappadingue et régatier hors pair !

Régate au Grand Large à Lyon

Le temps des régates en Maraudeur comme les roses n’a duré qu’un temps… Gallo s’est piqué d’une passion pour le deltaplane qui l’a éloigné des plans d’eau et nous, nous sommes repartis vers un autre pays… mais nous le verrons avec le Maraudeur !

A suivre : croisières au long court en Maraudeur !

Itinéraire salé d’un marin d’eau douce ou comment j’en suis venu au voile aviron. (15)

Les années Maraudeur entre régates et croisières au long cours.

Nous voilà donc de retour en France. Après nos années dans la vieille Europe fut elle de l’est, le choc avec l’Afrique avait été trop rude. En fait nous étions rentrés au moment où nous allions basculer, un an de plus, nous y serions probablement encore…

Nous voici donc à Lyon, Venexiana 2 est à port Camargue où nous avons toujours notre marina. Les courses avec Ondine dans l’océan indien ont laissé une marque. J’ai envie de régater de nouveau. Alors, comme je l’ai déjà expliqué nous nous inscrivons au club de Port Camargue. Numéro quatre qui s’annonce dans la famille vient restreindre les déplacements en voiture et mettre un terme aux projets de compétitions en baie d’Aigues-Mortes.

Voici Venexiana 2 au CVL, ancrée sur son corps mort devant le club, à ceci près qu’il n’y a plus de boat man pour m’emmener à bord !

Régates nous voici, et ça va rigoler !

Bon, comment dire… Ça ne s’est pas passé comme prévu. En effet, c’était sans compter sans les vieux briscards du Grand Large. Des lascars sur des rafiots merdiques mais qui savaient flairer toutes les risées foireuses qui vous conduisent en moins de deux vers la bouée d’arrivée.

Résultat, moi qui me faisait fort de mettre une boîte aux Edel 6 et autres Midget me voici à la ramasse et pas qu’un peu… De plus je traine un lourd handicap, un coefficient qui m’impose de rendre du temps aux autres concurrents. C’est explicable, peu d’Etap 22i régatent, son coefficient est calculé de manière théorique et il est élevé.

Les résultats en régate de Venexiana 2 sont loin d’être au rendez-vous !

C’est alors que je rencontre mon pote Gallo. Un lascar fin régatier, un finniste, ancien coureur sur Surprise, un copain de Sébastien Destremau, bref une pointure !

Ça tombe bien nous avons une marmaille du même âge. Tandis que les mamans surveillent les gosses qui batifolent au club, nous partons à l’assaut des régates du Grand Large avec Venexiana 2.

Bon disons le tout net, j’ai beau nous faire tailler des voiles de compète, Gallo a beau s’escrimer… râteau, les résultats ne sont toujours pas au rendez vous. Force est de constater que l’Etap 22i n’est pas une bête de régate.

C’est alors que Gallo me tape du coude  »tu devrais acheter le bateau de Garon qui est à vendre ». Le bateau en question est un rafiot plus petit que l’Etap, de couleur orange posé sur une remorque sur le parking des Micro dans le club. « Dis donc c’est quoi ce barlu ?

Un Maraudeur !

Venexiana 2 est vendue et part dans le Sud Ouest avec un jeune couple. Alors commencent les années Marau.

Venexiana 3 ? Et bien non, du moins pas encore. Le bateau s’appellera Raspoutine ! En lettres cyrilliques sur le côté tribord s’il vous plait et en caractères latins sur le côté bâbord !

РАСПУТИН ! RASPOUTINE mon premier Maraudeur.

Le Maraudeur est un de ces voiliers qui ont bâti l’histoire de la plaisance. Jean Jacques Herbulot le génial architecte a pris un dériveur, le Flibustier, lui a rajouté du franc-bord, un lest, une petite cabine et roule ma poule ! Dans les années 60 on pouvait acheter un Maraudeur au Bazar de l’Hôtel de Ville à Paris, le BHV. La voile se démocratisait.

Le bateau est en bon état, mais il est dans son jus. Il existe plusieurs générations de Maraudeur, celui-ci est un Spair dans sa configuration d’origine : le mat est un poteau cylindrique, les voiles fatiguées. Nous allons devoir reprendre tout ça !

Ce qui est formidable avec ce type de petit bateau, c’est que l’on peut se payer le meilleur en matière d’accastillage et de voiles sans se ruiner !

À l’entrée du club nous avions repéré un Proctor D, un mât de 470 qui servait à hisser un pavillon de bienvenue les jours de régate. Hop ! en accord avec les copains du club, nous procédons à l’échange et nous voilà avec un superbe mât à rétreint qui ne nous a pas coûté un rond ! Bon, il convient d’adapter le gréement dormant mais le câble ce n’est pas cher et l’affaire est vite entendue.

Je commande un jeu de voile neuf, un spi et avec Gallo nous commençons à percer des trous partout pour placer et déplacer l’accastillage. Quand on y pense, on rebouche; Les potes au club se fichent de nous, ils ne riront pas longtemps !

Avec mon pote Gallo, en route pour une manche de pétole au CVL

A suivre : les régates en Maraudeur.

Itinéraire salé d’un marin d’eau douce ou comment j’en suis venu au voile aviron. (14)

Saga africa ! Le Citron 2 et Ondine quatrième et cinquième bateaux.

Au point où nous en sommes et avant de passer à la suite, il m’apparait utile de procéder à un petit rembobinage du film.

Séquence flash-back, en septembre 1980 je partais pour la première fois à l’étranger en Roumanie. c’était dans le cadre du service national, à l’époque on parlait de « coopération ». Je vous épargne les détails, encore une fois, si cela vous intrigue, allez jeter un coup d’oeil « Trece timpul », n’hésitez pas, c’est gratuit ! Restons sur le sujet des bateaux.

J’avais laissé mon Fireball en France et je découvrais pour la première fois la réalité du paradis rouge derrière le Rideau de Fer version Ceaușescu. Disons pour résumer qu’il n’a pas fallu très longtemps au jeune instituteur public biberonné aux partis et syndicats de gauche pour virer sa cuti.

Il n’était pas question de naviguer dans ce beau pays qu’était la Roumanie socialiste. Les Roumains étaient bouclés chez eux. Tout moyen susceptible de prendre la poudre d’escampette subissait les foudres de la Securitate. Alors pensez donc, un bateau, fût-ce une misérable coquille de noix à voile… Pas de ça Lisette !

À défaut de Fireball, je me serais bien contenté de ma planche à voile mais il était interdit de naviguer avec un tel engin sur la mer Noire ! alors quoi ? Abstinence totale ?

Et bien non ! Je conserve une photo de navigation à voile de cette époque. Une image qui compte parmi celles que je préfère. Il se trouve qu’une copine de l’ambassade de France connaissait un gars nommé Dodo (pour Daurel) qui avait bricolé un semblant de voilier habitable avec lequel il faisait des ronds dans l’eau sur le lac Herăstrău situé au nord de Bucarest. Le bateau en question c’était un vieux Star, un quillard Olympique sur lequel il avait ajouté un roof et une petite cabine.

« L’équipage »… de gauche à droite : Jean-Louis un collègue VSNA, bibi reconnaissable au sweat shirt International Fireball France !), un copain roumain dont j’ai oublié le nom et le patron du rafiot  »Dodo ».

Miracle du numérique j’ai retrouvé un vieil article d’un de me mes anciens blogs où j’avais déjà évoqué le sujet : ici .

Bien, tout ça pour dire que d’une part même quand tout semble impossible, les rêves peuvent encore bousculer la réalité et d’autre part qu’après la Roumanie nous avions déclaré de manière péremptoire : « on repart n’importe où dans le monde mais surtout pas dans un pays communiste ». Et c’est ainsi qu’après deux ans à Bucarest nous sommes allés nous installer en Bulgarie. Dans la même logique, quittant ce pays six ans plus tard nous nous étions jurés de poser nos valises n’importe où dans le monde, sauf en Afrique et donc…

En 1988 nous débarquons en Afrique Orientale, à Dar Es-Salaam au bord de l’océan indien…

Pendant les six ans à Sofia, les navigations dans le pays ou en Grèce c’était avec la planche à voile. C’est aussi la période où sont arrivés les deux premiers Venexiana basés dans la mère patrie.

Cette fois nous habitons une ville au bord de la mer et dans le container de 20 pieds de notre déménagement j’avais pris soin de glisser deux planches à voile.

Au début j’avais beau avoir mon bureau à 100 mètres d’une plage de carte postale à Oyster Bay : sable blanc, cocotiers qui plongent dans une eau couleur émeraude, je passais mon temps à bosser. Je m’échappais quelquefois pour tirer des bords, croisant au hasard dauphins, tortues et même requins (dans ces cas là, je serrais des fesses et m’appliquais pour soigner mon style et ne pas tomber à la baille !).

La plage d’Oyster bay où j’allais naviguer en planche à voile.

En réalité j’étais frustré. En effet Dar es-Salaam possédait un magnifique club de voile. Seulement voilà… La Tanzanie était à l’origine une colonie allemande, le Tanganyika, devenue anglaise après la Première Guerre Mondiale. Or le Yacht Club était un club anglais, c’est à dire bouclé ! Pas question de s’y pointer : « bonjour je voudrais naviguer, à combien se monte l’adhésion ?  » Bernique ! Pas moyen d’y entrer comme cela, il convenait au préalable d’être parrainé et cela pouvait prendre des mois voire des années…

J’enrageais d’autant plus que la majorité des utilisateurs du club étaient des clampins pour qui le lieu se résumait à un bon restau. C’était un endroit chic pour épouses de diplomates qui venaient papoter au bord de l’eau tandis les gamins barbotaient sous la surveillance des ayahs. Ah ! mais, ceci dit, un vrai club de voile avec des habitables au mouillages, des dériveurs et des régates en veux-tu en voilà…

On m’avait néanmoins soufflé que si j’achetais un bateau, cela faciliterait mon adhésion. Il était possible de pénétrer le saint des saints en se faisant inviter, au coup par coup. C’est ainsi que grâce à un sympathique ressortissant germanique de ma connaissance et membre du club, je me portais acquéreur de mon quatrième bateau en l’occurrence un magnifique Laser de couleur jaune arborant le fier nom de Citron 2 !

Pendant un an, toutes les semaines je me pointais à l’entrée du club où m’attendait mon fidèle ami teuton qui me faisait pénétrer dans le club. Je retrouvais mon bateau préparé par mon « boat man ». En effet, il convient d’ajouter qu’en plus du bateau, l’usage voulait que l’on embauche un « boy » qui avait pour tâche de s’occuper de l’intendance et de tout préparer de sorte qu’il ne vous restait plus qu’à prendre la barre et en voiture Simone ! Sachant qu’à la maison l’effectif de notre personnel domestique s’élevait déjà à six personnes, un de plus, un de moins… Pour qui n’a pas vécu en Afrique, tout ceci peut paraître étrange voire un brin choquant. Il n’en est rien, la réalité est beaucoup plus complexe. La perception des choses est différente. La vision du monde, du temps ne s’appréhende pas de la même façon. Un choc terrible au début lorsque l’on débarque d’Europe. Une fois de plus, j’aurais trop à dire aussi je m’arrête là et j’en reviens à l’agrume qui nous intéresse le Citron 2.

J’avais acquis le bateau, il me fallait maintenant démontrer mes qualités nautiques pour pouvoir enfin décrocher le sésame, la fichue « membership card ».

Ah misère ! Dire que j’en ai bavé avec ce rafiot est un doux euphémisme. Le Laser est un joli dériveur mais plus mal foutu, non, je ne vois pas…

Le tarif c’était une régate par semaine. Les vents étaient soutenus et bien que la baie soit abritée le clapot souvent musclé… J’éprouvais toutes les peines du monde à dompter ma monture. J’ai le souvenir d’une fois, où je ne sais pas pourquoi, pas moyen d’abattre ni d’empanner arrivé à la bouée de largue. Cette vache de Citron 2 avait mis le cap sur Zanzibar et ne voulait pas en démordre malgré mes efforts désespérés pour lui faire entendre raison ! J’ai dû dessaler pour reprendre mon cap vers la bouée suivante et finir la course.

Au fil des semaines, je régatais avec plus ou moins de bonheur mais avec beaucoup d’obstination. Mais toujours porte fermée ! À chaque fois, je devais recourir aux services de mon ami allemand pour rejoindre mon rafiot et me jeter dans la mêlée, enfin disons plutôt de tenter de suivre le paquet…

Et puis last but not least… Bingo la barrière s’ouvrit ! Les hautes autorités du club, reconnaissant enfin mes hautes compétences nautiques, m’accordaient l’insigne honneur de rejoindre leurs rangs ! J’étais parrainé mais ce n’était pas tout à fait terminé car je dus me soumettre à un examen d’entrée le « helmsman test« , le test de l’homme de barre où je dus répondre à un questionnaire genre code du permis de conduire.

Une fois membre du club tout était facile, c’était open-bar ! Je ne suis pas loin de la vérité puisque qu’on n’échangeait pas de monnaie à l’intérieur du club. À la buvette il suffisait de donner son « bar number » et tout se facturait à la fin du mois. Pas d’histoire d’argent entre gentlemen…

Quelque temps après, mon toujours aussi sympathique ami allemand me mit sur la piste d’un bateau habitable qui était à vendre. C’était un vieux plan Van de Staat, un Primaat. D’ailleurs, vous vous souvenez dans le chapitre 4, je vous avais dit d’observer le bateau au premier plan dans le Port de la Grande Motte ?

Et c’est ainsi que je pus me séparer avec soulagement de ce foutu Citron 2 pour me consacrer à Ondine. Le bateau était mouillé sur un corps mort dans la baie devant le club. Service quatre étoiles mon boat man s’occupait de préparer les voiles et nous conduisait à bord avec une solide chaloupe motorisée. Au retour il nous reconduisait à terre et retournait au bateau pour tout ranger.

Les régates n’étaient pas négligées pour autant. Cette fois ce fut un peu plus glorieux. Chaque samedi nous avions des courses à handicap et tout au long de l’année quelques épreuves un peu plus huppées pimentaient nos appétits de régatiers. C’est ainsi que grâce au petit temps qui régnait ce jour là et à mon ami Peter Darch nous remportâmes le « Hardy Trophy » . Victoire qui me valut de voir mon nom gravé sur le mur du club qui recensait les différents vainqueurs de cette vénérable épreuve ! La tradition voulait également que le trophée, en l’occurrence une grosse coupe en argent sur laquelle allait être gravé le nom du bateau et de son skipper soit le soir remplie de Brandy et fasse le tour de tous les équipages réunis dans une chaude ambiance au bar du club ! So british !

Côté croisière, c’était plutôt à la journée, Nous croisions les pêcheurs sur des pirogues à balancier et aux voiles trouées. A l’abri derrière les îles qui protégeaient la baie, les dhows, ces boutres en bois de l’océan indien écopaient après leurs traversées tumultueuses depuis Zanzibar avant d’entrer dans le port de Dar Es-Salaam pour décharger leurs cargaisons de clous de girofle.

Une fois je suis parti avec deux amis belges deux jours en remontant la côte en direction du Kenya. Nous avions mouillé le soir dans l’embouchure d’une rivière au pied d’un village de pêcheurs africains d’où montait à la nuit tombée le son lancinant des tam-tams. Souvenirs de la torpeur d’une nuit africaine et de mon ancre qui chassait à cause des courants de marée.

Ondine au carénage dans le club

En 1990, soit à peine deux ans après notre arrivée nous rentrions en France à Lyon. Ondine avait retrouvé un nouveau propriétaire, en l’occurrence mon sympathique ami allemand et nous allions rejoindre Venexiana 2 entre Port Camargue et le CVL.